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Economie sociale : L’Alter modèle

Contribution de Rocard
Publié le lundi 21 novembre 2005.


CONGRES DU MANS - 18/19/20 novembre 2005

CONTRIBUTION THEMATIQUE : ECONOMIE SOCIALE : L’ALTER MODELE

Présentée par : Bruno LE ROUX, Michel ROCARD, Kader ARIF, Yves BLEIN, Nicolas DELESQUE, Pierre HOUQUES,Yann LASNIER, Martine LIGNIERES-CASSOU, Jean-Michel PERON,Frédéric ROSMINI, François ROUSSEAU, François SOULAGE, Yannick TRIGANCE.

L’écriture du projet des socialistes offre l’occasion de proposer une vision d’un modèle social qui allie l’accroissement des richesses économiques avec le développement des richesses sociales, qui réduit les inégalités et qui remet en marche l’ascenseur social. Sur ces thèmes, l’échec de l’économie administrée érigée autrefois en modèle et celui annoncé de l’économie néo-libérale qui entretient la promesse mensongère que le bonheur social est garanti par le marché et ignore les aspirations les plus profondes de l’humanité, invitent à réfléchir et à rechercher d’autres équilibres. Le seul moteur de ’économie ne serait-il que le profit généré par des capitaux possédés par un si petit nombre ? La « propriété collective des moyens de production » ne serait-elle qu’une utopie à ranger dans les placards de l’histoire ? Nul doute qu’un modèle économique doit être pluriel, et en cela, mélanger les différents modes d’organisation des échanges entreles hommes et entre leurs nations. Il doit aussi veiller à ce que leshommes adhèrent et s’impliquent à son mode d’organisation. Jusqu’à présent, la réflexion de la gauche s’est limitée à une recherche d’arbitrage entre l’étendue du secteur privé vis à vis du secteur public, et aux rapports qu’ils entretiennent l’un l’autre et on cherche en vain,dans la doctrine économique de gauche, la place faite à l’économie sociale.

La pensée politique de gauche a déserté, à un point tel, le champ de l’économie sociale qu’elle la considère (tout comme la droite) comme un secteur marginal de l’économie, dédié à la résorption des inégalités que le service public ne sait pas traiter.

Jamais en tous cas un ministre de l’Economie n’a eu dans ses compétences l’économie sociale, avec pour objectif un réel projet de promotion et de développement de ce modèle économique. Seules les questions sérieuses sont traitées à Bercy !

Et pourtant, l’économie sociale porte des valeurs auxquelles la Gauche est attachée : l’humanisme, en plaçant l’homme au centre du projet entreprenarial, plutôt que la recherche du profit, le partage de la responsabilité par le plus grand nombre, l’altruisme, l’intelligence collective … etc.

Et pourtant l’économie sociale est performante et efficace.

Qui donc sait que par exemple sur les 30.000 entreprises françaises de plus de 50 salariés près de 7000 sont des associations ? Qui donc se rappelle que quelques unes de nos grandes banques sont des mutuelles ou des coopératives de crédit ? Qui donc se préoccupe d’organiser avec le secteur mutualiste l’avenir de notre système de soins ou celui de nos retraités ? Qui donc prendra des mesures pour soutenir et faciliter l’engagement des 15 millions de bénévoles ? N’est-ce pas le devoir de la gauche réunie de soutenir une démarche entrepreneuriale inscrite dans l’histoire socialiste et dont la pertinence et l’efficacité révèlent chaque jour l’engagement de ceux qui veulent faire société en s’associant !

A l’heure où l’on se plaint de la difficulté d’associer et d’intéresser les Français à la vie sociale, et là où beaucoup échouent, l’économie sociale réussit. L’économie sociale développe des services, crée de la plus value et de l’emploi pour une raison fort simple : comme son projet vise le développement des liens sociaux et la multiplication des richesses sociales ses plus-values économiques éventuelles sont consacrées au développement de son activité et non à la rémunération d’actionnaires.

A condition de s’en préoccuper sérieusement pour la conforter au milieu d’une économie néo-libérale dominatrice, l’entreprise d’économie sociale – association ou mutuelle – est et restera structurellement à l’abri de la financiarisation de son activité. Sa production s’en trouve d’ailleurs, de ce fait, d’un moindre coût. En France, en Europe et dans le monde, l’économie sociale ne cesse pourtant de se développer sans bénéficier – au contraire – de privilèges ou de protections particulières.

Alors pourquoi ne pas remettre l’économie sociale au goût du jour, accompagner sa modernisation comme l’Etat a su le faire dans d’autres domaines de l’activité économique ? Pourquoi ne pas développer, autour de cette réalité déjà existante, l’idée qu’un troisième modèle (un alter modèle) peut exister pour contribuer au développement de l’activité humaine et au bon fonctionnement de la société : activité de service public, activité d’économie capitaliste, activité d’économie sociale. Cette réalité doit être mise en perspective par les socialistes pour promouvoir une vision équilibrée, imaginative du développement de la vie économique au 21ème siècle. Il reste, pour ce faire, à construire le débouché, le programme politique qui devra accompagner cette grande et nouvelle ambition économique. Celui-ci devra, à minima, prendre en compte, les propositions génériques suivantes :

1°) Rédiger une ou plusieurs lois cadre qui donnent une base légale au secteur en spécifiant les caractéristiques de ce qu’est une société de personnes, le mixage de ses ressources (privées, monétaires ou non), la définition d’un label d’utilité sociale, les conditions de reconnaissance du projet de l’organisation, un statut fiscal adapté centré sur le projet et non sur les activités développées, les modalités de passage d’un statut juridique à un autre en fonction de l’évolution des activités, les modalités de transparence et de contrôle au sein des groupes ou fédérations d’entreprises, la définition du statut de mandataire social pour les dirigeants élus, la place des employeurs dans les instances sociales, la définition du statut de volontaire, les conditions d’accès au financement public bref un ensemble de texte qui encadre le secteur en respectant ses spécificités.

2°) Créer un ministère spécialisé de l’Économie sociale ce qui contribuera à faire évoluer la doctrine de l’Etat, de l’UE, tout en exerçant une tutelle sur l’ensemble du secteur indépendamment des activités réalisées par les organisations.

3°) Développer plusieurs programmes nationaux et internationaux de recherche et d’enseignement sur l’économie sociale dans le but de rénover la pensée économique, d’accroître la connaissance et la reconnaissance des organisations qui composent le secteur.

4°) Définir nationalement, régionalement, localement, des grands programmes d’amélioration du lien social en matière d’éducation, de santé, de culture, de communication, d’action sociale, qui associent par principe les organisations de l’économie sociale à leur réalisation et en proposer les modalités dans de vastes appels à projets qui prennent en compte la volonté des citoyens regroupés et organisés pour prendre en main leur destin de façon responsable.

La Gauche française peut ainsi engendrer une nouvelle donne économique, mieux équilibrée, parfaitement cohérente avec l’idée du nécessaire développement durable de la planète.

Elle trouvera en cela un écho favorable auprès d’une multitude de partenaires :

- En France, où les partenaires syndicaux et patronaux de l’Economie Sociale sont prêts à créer les conditions de la réussite d’un grand projet économique situant clairement l’économie sociale comme un enjeu essentiel ;

- En Europe, où de nombreux pays s’appuient déjà sur une économie sociale puissante, notamment les pays du Nord dont le niveau d’activité économique est aujourd’hui envié ;

- Dans le reste du Monde, où l’économie sociale est souvent, à l’exception des Etats-Unis, un des éléments importants de l’organisation de la vie économique. A ce titre d’ailleurs, la France est fréquemment citée en exemple et en modèle, exemplarité qu’elle-même sait bien mal exploiter.

Forts d’une pensée économique rénovée, équilibrée, cohérente avec leurs valeurs de justice et de partage, les socialistes, en affichant leur ambition pour la croissance de l’économie sociale, montreront véritablement q’une autre mondialisation est possible.