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GDF - Suez : Intervention de DSK à l’assemblée nationale

Dominique Strauss-Kahn
Publié le vendredi 8 septembre 2006.


DSK est intervenu vendredi 8 septembre devant l’Assemblée Nationale pour s’opposer au projet de loi sur la fusion GDF-Suez. Retrouvez un résumé de cette intervention.

Vous nous avez fait un bien mauvais projet. Les circonstances se prêtaient pourtant bien à un projet énergétique de grande ampleur. La hausse des prix rend en effet encore plus essentielle la question de l’énergie. Le besoin d’une politique énergétique se fait d’autant plus sentir que cette question a, comme l’a rappelé M. Cochet avec l’emphase qui est la sienne - et que nous apprécions - un impact environnemental et géopolitique. Bref, c’est un sujet majeur, qui aurait déjà pu être traité puisqu’en quatre ans, nous avons connu cinq projets de loi et deux déclarations du Gouvernement sur sa politique énergétique. Le bilan est assez mince. Il s’agit principalement de l’ouverture des réseaux, avec les résultats contestés que l’on connaît : beaucoup de ceux qui sont entrés dans ces réseaux ouverts veulent aujourd’hui en sortir. Aussi chacun ne songe-t-il, depuis le début de cette discussion, qu’à renvoyer la responsabilité aux autres.

Le débat est pourtant plus grave. Le vrai problème est de savoir où nous en sommes dans la procédure d’ouverture des réseaux, ce que l’on peut faire pour corriger le tir. Votre projet est ici inefficace. Après la marche arrière de beaucoup d’entreprises, qui ont considéré que les prix du marché auxquels elles étaient soumises étaient insupportables, vous nous proposez un habillage qui durera tout au plus deux ans - vraisemblablement moins, puisque la Commission européenne a démenti votre propre déclaration assurant que le problème du retour était réglé. Je souhaite donc avoir des précisions sur ce point.

Il serait bon que l’on sache exactement ce qu’il en est. Une chose est certaine en tout cas : si l’on veut être sûr que les prix diminuent, il faut éliminer une série de dysfonctionnements. De ces dysfonctionnements, M. Pierre Méhaignerie avait dressé une longue liste. Or, quelle attention leur est-il porté dans ce projet ? Aucune, ou si peu. Contrairement à ce qui a été avancé ici ou là, la Commission de régulation de l’énergie n’est ni un nain ni un géant, mais ses pouvoirs doivent être renforcés et revus ; rien, dans le texte, ne va dans ce sens. Pourtant, en l’état, les dispositions prévues sont insuffisantes pour garantir le maintien du pouvoir d’achat des consommateurs, mais aussi la compétitivité des entreprises. Les libéraux que vous êtes, qui savent bien qu’un marché, ce sont des règles - devraient donc être logiques avec eux-mêmes et instaurer des règles efficaces. Je pensais, Monsieur le ministre, que l’objectif de votre nomination était de vous faire transformer le paysage énergétique français. Vous auriez pu, ainsi, vous faire un nom, mais l’occasion est manquée, et je ne suis pas sûr que vous en aurez une autre au cours de la présente législature, ni, a fortiori, de la suivante.

Sur la régulation et le renforcement de la surveillance, le projet dit donc très peu de choses. J’en viens au second sujet, à savoir la privatisation de Gaz de France par le biais de sa fusion avec Suez, question que j’ai l’intention d’évoquer car je considère qu’il ne revient pas au ministre des finances de décider ce dont entend parler le Parlement.

On s’emploie à nous faire apparaître, Laurent Fabius et moi-même, dans une sorte de pantomime, en rappelant sans cesse les positions que nous avons prises sur les privatisations. Je parlerai bien sûr en mon nom seulement, pour dire que je n’ai pas changé d’avis et que je continue de penser que s’il en va de l’intérêt d’une entreprise, de ses salariés, des consommateurs, bref si l’intérêt national l’exige, je ne vois pas d’obstacle à une privatisation, à condition qu’elle s’appuie sur un bon projet industriel...

Or, le projet industriel qui nous est présenté est mauvais. Cessez donc d’intervenir pour prétendre que j’aurais changé d’avis : ce n’est pas le cas, c’est que le projet industriel n’est pas bon.

Contrairement à ce qui nous est dit, la sécurité énergétique du pays ne serait en rien renforcée. Personne ne peut prétendre qu’en passant, avec le nouveau groupe, de 16 % à 20 % du marché gazier, on crée un géant - tout au plus grossit-on un peu. Ce pourrait, certes, n’être qu’une première étape, prélude à d’autres alliances. Seulement, si l’État ne conserve que 34 % des parts du nouveau groupe, il n’y a plus d’autres alliances possibles puisque, impécunieux comme il l’est, il ne pourra suivre d’éventuelles augmentations de capital. De nouvelles alliances sont donc exclues dans cette configuration, sauf à ce que l’État descende en dessous de ce seuil - mais, après tout, vous acceptez désormais de ne garder que 34 % d’un capital dont vous aviez affirmé vouloir conserver 70 %...

Pour que des alliances ultérieures soient concevables, l’État doit garder bien davantage que 34 % des parts. En l’état, le texte ne garantit aucunement la sécurité énergétique. Faute de renforcer le secteur gazier, le projet en conforte-t-il un autre ? Tout au contraire, la constitution du nouveau groupe affaiblira EDF, balayant d’un coup la politique qu’ont menée pendant des décennies tous les gouvernements, droite et gauche confondues, en empêchant Suez de pénétrer sur le marché de l’électricité. L’affaiblissement d’EDF sera manifeste.

Le ministre des finances a affirmé - avec quelle naïveté ! - qu’une concurrence s’exercerait. Mais dans quelles conditions, alors que le nouveau groupe disposera du fichier commercial des 12 millions de clients de GDF ? C’est un cheval de Troie que vous introduisez dans le marché de l’électricité, dont vous modifiez entièrement la donne.

Y a-t-il, alors, autre chose dans ce projet ? Permettra-t-il, par exemple, que les missions actuellement confiées au secteur public soient mieux remplies ? D’abord, pourquoi y a-t-il un secteur public de l’énergie, sinon parce qu’existe un monopole naturel ? Certes, ce n’est pas une chose formidable qu’un monopole public, mais un monopole privé est encore beaucoup moins bien. À ce sujet, les concessions fixées dans la loi de 1946 seront-elles remises en cause ? Le texte n’en dit rien, mais le rapporteur a posé la question, et je ne suis pas certain qu’il ait obtenu une réponse... Sur le fond, peut-on sérieusement penser que les missions de service public seront mieux remplies par le secteur privé qu’elles ne le sont par le secteur public ? Allons donc ! Les collectivités territoriales pratiquent quotidiennement la délégation de services publics à des entreprises privées, mais il ne s’agit pas de monopoles naturels. Il n’y a aucune raison de préférer un monopole privé à un monopole public.

Serait-ce, alors, que l’intérêt des salariés est en jeu ? Consultés, 94 % d’entre eux se sont déclarés hostiles au projet...

On pourrait encore imaginer que le projet, tout mauvais qu’il est, vise à créer l’Europe de l’énergie. Mais l’on sait bien qu’il n’en est rien, et que le Gouvernement a sorti cette idée de son chapeau dans la fébrilité pour contrer l’intérêt qu’ENEL portait à Suez. D’ENEL, il n’est plus question, mais le Gouvernement poursuit sur sa lancée... et personne ne trouve rien à redire à la situation ubuesque qui veut que l’on en soit à discuter d’éventuelles cessions du nouveau groupe à ENEL...

Le projet, explique-t-on encore, mettrait le nouveau groupe à l’abri d’une OPA. Personne ne peut croire un instant cette plaisanterie. La seule manière de se protéger efficacement, c’est de conserver un capital majoritairement public. L’État avait une part, minoritaire, du capital d’Arcelor ; a-t-on vu que cela ait empêché la fusion avec Mittal ? Des moyens doivent être inventés qui mettent à l’abri d’OPA inamicales, mais ce n’est pas celui qui est proposé, et qui mettrait le nouveau groupe en grand danger - d’ailleurs, les grands gaziers mondiaux se frottent les mains, et il y a malheureusement peu de doute : un jour ou l’autre, un prédateur se présentera qui s’emparera du groupe ainsi valorisé.

Comment, enfin, ignorer le grand risque qu’il y a à délibérer sans connaître les contreparties massives exigées par la Commission dans les 200 pages de la lettre de griefs dans laquelle elle expose tout le mal qu’elle pense du projet ?

On se demande vraiment ce qui pousse le Gouvernement à persister, sinon un entêtement dont le CPE a déjà donné un exemple. L’idée est lancée et, au nom d’un patriotisme franco-français, on ne veut plus s’arrêter. L’opposition est contre, mais l’UDF aussi, et beaucoup de députés UMP. C’est bien pourquoi d’ailleurs, on évoque l’idée d’un 49-3, qui permettrait de ne pas aller au bout du débat et nullement à cause du nombre de nos amendements. Souvenez-vous, sur les trente-cinq heures, le débat fut mené jusqu’à son terme, malgré des dizaines de milliers d’amendements, parce que Lionel Jospin était sûr de sa majorité.

Il est des députés socialistes - dont je suis - qui ont le courage de dire qu’il peut parfois être utile d’ouvrir le capital d’une entreprise publique lorsqu’il y va de l’intérêt national. Il pourrait y avoir des députés de l’UMP qui aient le courage de dire qu’il vaut mieux parfois conserver une entreprise publique dans ces mêmes circonstances. Je vous invite aujourd’hui à faire preuve de ce courage.

http://www.dsk2007.net/Intervention...