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"AVEC LA JEUNESSE"

DSK répond aux questions des militants
Publié le mercredi 1er novembre 2006.


A la suite du débat télévisé de mardi 24 octobre, Dominique Strauss-Kahn, Laurent Fabius et Ségolène Royal s’expriment sur les questions de société et répondent à 5 questions tirées au sort de militants dans l’Hebdo des socialistes.

Retrouvez ci-après l’intervention de DSK.

Chère Camarade, Cher camarade,

La mi-campagne ! Je ne sais s’il faut dire « déjà » - tant je prends de plaisir à ce débat démocratique et militant - ou « seulement » - tant chaque jour apporte son lot d’événements nouveaux.

Aujourd’hui, je veux te dire quelle est ma vision de la société et, à partir de cette vision de la société, quelles conséquences concrètes j’en tire pour nos priorités et nos propositions.

Le constat sur l’état de la société est connu et nous est commun. Il tient en une formule : le « descenseur social ». Les Français ont le sentiment de risquer d’être, à tout moment, pour eux-mêmes comme pour leurs enfants, aspirés vers le bas. Ils sont inquiets du présent. Ils redoutent l’avenir. Ils ne croient plus en la capacité des politiques à résoudre leurs problèmes.

Il s’agit d’une crise démocratique, mais il s’agit aussi et avant tout - ne nous trompons pas de diagnostic - d’une crise sociale. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il est possible de sortir de cette crise en alimentant une suspicion généralisée, en donnant à croire que les élus sont des corrompus ; les jeunes, des délinquants ; les chômeurs, des fraudeurs ; les étrangers, des clandestins. Je pense, tout au contraire, qu’il n’y a rien de plus urgent que de rétablir la confiance dans notre pays, qu’il existe des ressources insoupçonnées chez les Français de générosité, d’optimisme, de volonté.

Pour mobiliser ces ressources, il faut fixer un but. Je ne crois pas que cela puisse être l’ordre - fût-il juste. Oui, mille fois oui, la sécurité est nécessaire. L’irruption de la violence partout, y compris dans les cours d’école, dans les transports en commun, dans les halls d’immeubles, est insupportable. Il faut rétablir la sécurité - ou la « sûreté » pour reprendre le beau mot de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen - et agir là où la droite a échoué. Mais si l’ordre est une nécessité, ce n’est pas un projet de société. La gauche doit incarner le mouvement - parce que seul le mouvement permettra de retrouver l’ordre. Elle doit se saisir des nouveaux problèmes. Elle doit inventer de nouvelles solutions. Elle doit se projeter dans l’avenir. Elle doit refonder la République. C’est cela, aujourd’hui, la mission d’une gauche à la fois fidèle à ses valeurs et ancrée dans son temps !

Fort bien, me diras-tu, mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Je ne t’en donnerais qu’une seule illustration, parce que je préfère être précis qu’exhaustif : nous devons porter un discours positif, novateur et ambitieux pour la jeunesse. Les jeunes, aujourd’hui, cumulent les difficultés. Il est plus difficile pour eux de se loger et de s’insérer dans la vie professionnelle. Pour demain, nous leur laissons à la fois une dette publique élevée et un environnement dégradé. Eh bien, je le dis avec force : nous leur devons quelque chose.

Je propose que la société les aide à entrer dans la vie. Je propose que nous donnions un patrimoine à ceux qui n’ont pas de patrimoine. Je propose que nous donnions un patrimoine public à ceux qui n’ont pas de patrimoine privé, pour financer leurs études, un projet professionnel, un logement... C’est une réforme profonde et qui aura un coût. Je l’assume ! Mais elle est moralement indispensable. Elle est socialement juste : c’est l’égalité réelle mise en actes. Elle est économiquement efficace : c’est la confiance relancée. Elle est politiquement pertinente : Nicolas Sarkozy propose, je l’avais déjà évoqué, de supprimer les droits de succession et donc d’aggraver les inégalités de patrimoine ; je propose de doter les jeunes qui n’en ont pas d’un capital de départ et donc de réduire les inégalités de patrimoine.

Dans le même esprit, je suis très attaché à l’idée du service public de la petite enfance que j’avais lancée et qui figure dans le projet de notre parti. Dans le monde de demain, il sera encore plus décisif « d’apprendre à apprendre ». Beaucoup se joue dans les premières années de l’enfance. C’est dès ce moment-là que se creusent les inégalités de départ et que l’échec scolaire trouve sa source. C’est donc à ce moment-là que nous devons concentrer les moyens publics.

Nous devons faire du service public de la petite enfance un axe central de notre projet de société. Nous devons expliquer en quoi c’est décisif. Nous devons préciser par quoi il se caractérise. Le droit à une prise en charge collective avec la généralisation des crèches. L’abaissement à trois ans, voire deux, de l’âge de la scolarisation obligatoire - qui n’est pas l’âge effectif de la scolarisation dans les banlieues défavorisées. Un rattrapage dès le CP avec des « instituteurs volants » non affectés à une classe. Et aussi, car c’est très important, un suivi médico-social personnalisé qui permette de repérer en temps réels les maladies et les troubles de développement susceptibles de limiter son apprentissage.

Je me résume. Je veux une gauche de mouvement. Je veux une gauche de l’avenir. Avançons sur l’idée d’un patrimoine pour ceux qui n’en ont pas. Défendons le service public de la petite enfance. Faisons du combat pour la jeunesse notre étendard ! Ainsi, nous recréerons la confiance. Ainsi, nous remettrons toute la société en mouvement.

Dominique Strauss-Kahn

Questions-réponses avec les militants

1 - Question de Laurent Chéno dans le 75

L’action des associations, le mariage de Bègles, les débats du Congrès, la discussion du Projet, ont permis le débat à propos de l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples de même sexe. Le Projet a acté cette double ouverture, mais les députés ont cru bon de scinder en deux propositions de loi l’une sur le mariage, l’autre sur l’adoption. T’engages-tu à mettre en œuvre sans délai ces deux réformes ?

Cher Laurent, Oui. Deux fois oui. Ma conviction et ma volonté d’aboutir sont intactes. Comme tu le sais sans doute, au nom de l’égalité réelle, j’ai pris clairement position en 2004 pour l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Avec d’autres, j’ai contribué à ce que le Parti socialiste s’engage sur cette voie. Depuis, l’opinion publique a fortement et positivement évolué. L’égalité des droits, le respect de toutes et tous, la lutte contre toutes les discriminations sont des composantes essentielles de mon socialisme. C’est ce que j’ai appelé le socialisme de l’émancipation. Par conséquent, ces réformes, parce qu’elles sont justes à mes yeux, parce que nous nous y sommes engagés collectivement et parce qu’elles sont porteuses de liberté et d’égalité, doivent figurer au premier rang de nos priorités. J’ai bien conscience qu’ici ou là, des résistances existent, notamment concernant l’adoption par des couples de même sexe. Il ne faut évidemment pas les ignorer. Il ne faut pas non plus s’y soumettre. C’est justement le rôle et la noblesse de l’engagement politique : faire partager ses convictions avec le plus grand nombre, faire œuvre de pédagogie, convaincre l’opinion de la justesse de ses engagements. Comme tous les socialistes, je crois en la force du combat politique. C’est grâce à elle que nous avons aboli la peine de mort. C’est par elle que nous tracerons demain le chemin de l’égalité réelle. Une seule loi suffira pour traiter à la fois du mariage et de l’adoption.

2 - Question de Philippe Foliot dans le 13

Comment comptes-tu intégrer l’écologie dans ton action politique pour qu’elle n’apparaisse pas comme un gadget mais comme une composante essentielle de ton action ?

Cher Philippe, ma réponse sera simple : le « droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », comme le proclame la charte de l’environnement, est une aspiration nouvelle et profonde. L’environnement est une donnée qui pour nous, socialistes, doit désormais être aussi centrale dans notre projet que la lutte pour l’égalité sociale ou la lutte pour la liberté ! Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, le bilan écologique de Jacques Chirac est mauvais. Des mots, sans effets. Des proclamations, sans suite. Pire, les projets de lois lancés par la gauche ont été paralysés ; les crédits de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie coupés ; les retard sur les énergies renouvelables accumulés ; la taxation écologique stoppée. Là encore, je veux que l’on se saisisse dès maintenant des grands enjeux du futur : la préparation de l’après-pétrole, la lutte contre le changement climatique. Là encore, je veux que l’on ait le courage de dire la vérité : nos modes de vie vont devoir évoluer. Il va falloir renforcer les économies d’énergie dans l’habitat, dans les transports, dans l’industrie ; cibler les efforts de recherche sur les énergies renouvelables ; organiser un grand débat sur le nucléaire pour que cesse le secret ; créer une Cour de l’environnement que les citoyens pourront saisir. L’environnement doit être au cœur de chacune de nos décisions - de celles qui touchent à la vie quotidienne jusqu’à celles qui sont prises dans les grandes instances internationales. Le Président devra tracer le chemin. Et la France devra passer - enfin ! - des mots à l’action.

3- Question de Pascal Seven dans le 67

J’habite dans un quartier difficile dans la périphérie de Strasbourg. Je vois mon quartier se dégrader au jour le jour, à cause de certains parents trop laxistes avec leurs enfants. Que comptes-tu faire pour responsabiliser ces parents ?

Cher Pascal, je veux faire comprendre aux parents que leur autorité est un droit qui s’exerce sur les enfants mais aussi un devoir dû à la société. Parce que les parents d’enfants en difficulté sont souvent eux-mêmes en grande difficulté, ma logique est d’abord une logique de soutien. Je veux, avant de les sanctionner, les aider à exercer pleinement leur autorité lorsqu’ils sont confrontés à l’absentéisme scolaire de leur enfant ou aux troubles qu’il peut causer à l’école et dans l’espace public. Oui, je le dis : plutôt que de les stigmatiser, il faut donner aux parents les moyens d’assumer leur responsabilité et de se réapproprier leur rôle éducatif. En les associant à l’apprentissage des savoirs scolaires. En renforçant la collaboration entre parents et enseignants. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? L’organisation de formations spécifiques aux parents pour leur rappeler leurs droits et leurs devoirs et leur permettre un véritable suivi du cursus scolaire de leur enfant. La mise en place d’un réseau associatif d’écoute, d’information et d’aide aux parents. Un aménagement des horaires des salariés en fonction de leurs responsabilités parentales. Des actions ciblées à destination des parents d’origine étrangère.

Mais regardons les réalités en face : il existe aussi des parents qui renoncent, qui démissionnent, qui abdiquent. Je considère que l’arsenal répressif existant - notamment la mise sous tutelle des allocations familiales, le délit d’abandon matériel et moral, la responsabilité civile pour les dommages causés par l’enfant - est suffisant. Mais je sais que sa mise en œuvre, trop tardive et trop lente, doit être renforcée. Pour aider à la prise de conscience des parents défaillants et garantir l’effectivité de la réparation aux victimes d’actes commis par des mineurs, je propose de rendre obligatoire pour les parents l’assurance responsabilité civile familiale ainsi que la création d’une amende civile à l’encontre des parents cités en qualité de civilement responsables qui ne défèrent pas à une convocation des juridictions pénales pour mineurs.

Et puis, n’oublions jamais l’essentiel : comment des parents qui ne travaillent plus depuis de très nombreuses années peuvent-ils transmettre des valeurs fondées sur le travail ? Les questions de société et les questions sociales sont intimement liées : le retour au plein emploi constitue le principal facteur de reconquête de l’autorité parentale.

4 - Question de Frank Peyrou dans le 06

S’agissant des personnes en situation de handicap, je souhaiterais connaître ton opinion sur la loi de février 2005 facilitant la scolarisation des élèves concernés dans des établissements ordinaires et plus généralement la politique que tu entends mener sur le handicap.

Cher Frank, on vante dans bien des domaines - et parfois avec raison - le « modèle français ». S’agissant du handicap, je le dis clairement, notre pays France est l’un des mauvais élèves en Europe. Le handicap touche pourtant une part importante et croissante - dû au vieillissement - de la population. Je veux être précis : il y a pour moi trois problèmes majeurs qui doivent être traités : l’accessibilité, l’accès à l’emploi et la place dans la société des personnes en situation de handicap. Sur ces trois sujets, la loi de février 2005 a permis des avancées, mais elle reste bien insuffisante : manque de moyens financiers, longueur des délais de mise en œuvre et absence de contrôle. Alors, comment fait-on ?

D’abord, l’accessibilité : aujourd’hui, le droit de circuler librement n’est pas garanti pour tous. J’aimerais que l’on réfléchisse à cette idée simple : bien souvent, c’est l’environnement qui crée le handicap et non la personne. Voici pourquoi je pense qu’il faut réduire sans concession les dérogations prévues par la loi de février 2005 et agir en amont en formant, notamment, les architectes et les enseignants.

Ensuite, la formation et accès à l’emploi : le taux d’emploi des personnes handicapées est de 30% contre 61% pour l’ensemble de la population ! 80% des travailleurs handicapés inscrits à l’ANPE ont un niveau inférieur ou égal au CAP/BEP. Toute insertion dans la vie professionnelle est limitée par cette sous-qualification chronique. Il faut donc absolument assurer la scolarisation des enfants et des jeunes handicapés en y mettant les moyens humains.

Dernier point, la place des personnes en situation de handicap dans la société : là encore, c’est une action concrète qu’il faut engager en créant, par exemple, des centres de relais téléphoniques pour les personnes malentendantes comme c’est le cas aux Etats-Unis, ou encore en généralisant le sous-titrage des programmes télévisuels. D’ailleurs, si l’on peut se réjouir de l’organisation de nos débats télévisuels, on doit regretter que rien n’ait été prévu pour les personnes malentendantes !

5 - Question de Stéphane Desmaison dans le 13

Bonjour ! En matière d’éducation, le Gouvernement Villepin a décidé de s’attaquer à la question du temps de travail des enseignants : quelles mesures envisages-tu ? Que faut-il changer d’autres dans les conditions de travail des enseignants ?

Stéphane, tu as raison : la droite a pour seule ambition de « récupérer » des dizaines de milliers d’heures de travail. Il s’agit d’une vision purement comptable des conditions de travail des enseignants. Il faut partir de ce qu’est réellement le métier d’enseignant. Ce métier, c’est le mien. J’y suis tellement attaché que je continue de l’exercer - y compris pendant notre campagne interne. Etre enseignant, c’est préparer des cours, continuer de se former, nouer des relations avec les parents ; c’est un travail dans la classe et hors de la classe, dans l’établissement et hors de l’établissement. C’est de tout cela dont il faut discuter pour revaloriser la situation des enseignants. Cela passe évidemment par une amélioration des conditions matérielles dans les établissements, par la présence d’autres adultes - surveillants, infirmières scolaires, assistantes sociales -, par une meilleure gestion des carrières, avec notamment davantage de « passerelles », par l’accompagnement des jeunes enseignants dans une durée plus longue. Alors, oui, il y a bien des évolutions à accomplir et de débats à ouvrir. Mais, pour rénover l’éducation, mieux vaut commencer par connaître et par aimer les enseignants.