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Remise en cause du contrat social

Publié le dimanche 23 juillet 2006.


Monsieur le Président, cher Jean-Paul,

Tout au long des 150 dernières années, la protection sociale de l’Etat providence s’est développée pour couvrir des risques liés au développement de l’activité industrielle et salariée. La reconnaissance de droits sociaux, fondés sur les valeurs de solidarité entre les salariés, d’autonomie et d’émancipation, était un des éléments essentiels de la relation salariale entre employeurs et travailleurs. Elle constituait le cœur du contrat social, par lequel les salariés acceptaient une subordination à l’employeur en échange de sécurité et de garanties de ressources à travers des régimes fondés sur la mutualisation et la réparation (maladie, accidents du travail, chômage, retraites, famille).

Depuis plus de quinze ans, la mondialisation et l’évolution des modes de production ont fait surgir de nouveaux risques qui sont venus affaiblir ce contrat social et remettre en cause la façon dont les valeurs de solidarité et d’émancipation s’étaient incarnées depuis une centaine d’années. Ces nouveaux risques sont liés à la disparition éventuelle de l’entreprise (faillite ou restructuration), à la perte d’emploi et au chômage de masse, à l’absence ou à la perte de qualification, à la rupture de la carrière professionnelle. Le système conduit à reporter la prise en charge des risques nouveaux sur les seuls salariés : toutes les composantes de la relation professionnelle (salaire, formation, emploi…) en sont bousculées. C’est l’ensemble du contrat social qui est mis en question.

C’est pourquoi une forte demande sociale de protection professionnelle apparaît pour couvrir ces nouveaux risques. En même temps, les évolutions du monde industriel et commercial ne correspondent pas seulement à des risques nouveaux mais aussi à des opportunités nouvelles de gains pour les salariés (carrières plus actives et plus variées, meilleures rémunérations, meilleur maîtrise de leur travail…).

Il s’agit donc d’articuler la demande de sécurité professionnelle à celles de liberté de choix, d’émancipation et de maîtrise de son destin professionnel. Ce qui revient à refonder le contrat social sur de nouveaux outils de solidarité et d’émancipation, autour de nouveaux droits sociaux tels que le droit au reclassement et à la mobilité professionnelle, le droit à la formation tout au long de la vie, le droit d’insertion et de qualification, etc.

Et c’est donc la raison pour laquelle j’ai créé au sein de mon club de réflexion A gauche, en Europe, un groupe de travail consacré aux questions des droits sociaux et des nouveaux risques car la demande de sécurité sociale professionnelle est un élément d’un ensemble plus vaste, celui du Contrat Social rénové.

Je te remercie d’avoir accepté de présider ce groupe, qui orientera sa réflexion et ses propositions selon trois principaux axes :

- Les éléments de Sécurité Sociale Professionnelle autour des outils de mutualisation et du maintien des droits sociaux classiques dans l’actuelle logique de réparation (minima sociaux, indemnisation du chômage, accidents du travail, régime général de retraite, fonds interprofessionnel pour la formation professionnelle...)

- La mise en œuvre localisée et concrète de droits nouveaux dans les entreprises, à travers des négociations interprofessionnelles, de branches et d’entreprise, pour que le dialogue social porte sur l’ensemble des dossiers concernés : gestion prévisionnelle des emplois, formation professionnelle, plan de retour à l’emploi, dispositifs d’insertion, reclassement, validation des compétences et des acquis de l’expérience. Je souhaite que le développement des « marchés transitionnels » mis en évidence par Bernard Gazier, puisse conduire à des propositions novatrices. L’association d’autres parties prenantes (pouvoirs publics locaux, entreprises du tiers secteur) ainsi que la rénovation des modes de gouvernance des entreprises seront notamment étudiées par le groupe.

- Les nouveaux leviers d’action publique destinés à assurer que chaque salarié bénéficie bien de ces droits nouveaux : agences régionales de reclassement, suivi et contrôle des opérateurs de formation professionnelle, professionnalisation des méthodes d’insertion, etc.

Des sous-groupes de travail pourront être mis en place sur chacun de ces thèmes afin de permettre aux membres de notre club de contribuer à votre réflexion ou de vous faire part de leurs commentaires. La note finale d’une quarantaine de pages, issue des travaux du groupe sera prête vers janvier 2005. Elle sera publiée dans la collection éditoriale A gauche, en Europe et donnera lieu à l’organisation d’un colloque sur les droits et les risques sociaux, et le renouvellement du contrat social janvier prochain. Vous y présenterez vos conclusions et vos recommandations, lesquelles seront débattues par la suite avec des acteurs politiques, syndicaux et associatifs.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de ma considération distinguée,

Dominique Strauss-Kahn

Fondateur d’A gauche, en Europe Paris, le 30 avril 2004