Accueil du site - 30. Pour CONVAINCRE - Positions - International
 

Plaidoyer pour un projet progressiste en faveur du développement

Publié le dimanche 23 juillet 2006.


Dominique Strauss-Kahn le 20 février 2002 dans Le Figaro

Repenser les politiques de développement : tel était le thème du sommet des progressistes, réuni les 11 et 12 février à Pretoria, en Afrique du Sud, en présence notamment de Mbeki, Lula et Blair. Il s’agit d’une rencontre annuelle des responsables sociaux-démocrates de la planète, chefs d’Etat et opposition mêlés. J’y représentais la France. Devant les leaders du Nord, les représentants du Sud ont dressé un réquisitoire sévère contre les politiques de développement promues jusqu’ici par les pays occidentaux et les institutions internationales. Ils ont raison. Les inégalités demeurent considérables : les habitants du pays le plus pauvre (Sierra Leone) sont en moyenne 100 fois moins riches que ceux du pays le plus riche (Luxembourg). Pire elles se creusent.

Bien sûr, le développement du Sud résultera avant tout des efforts des pays du Sud. Mais nous sommes aussi, en partie, la cause de l’échec actuel. Pour trois raisons.

D’abord, parce que nous aidons de moins en moins les pays pauvres. L’aide publique au développement (APD) des pays occidentaux a fondu d’un tiers après la chute du mur de Berlin, de 0,34% du PIB en 1990 à 0,22% en 2000. Les attentats du 11 septembre 2001 auraient dû changer la donne, tant il est clair que la pauvreté est une des causes du ressentiment du Sud face au Nord. Mais l’APD n’est guère remontée depuis, à 0,26% du PIB, à des années-lumière de l’objectif de 0,7% fixé à l’OCDE. Surtout, l’essentiel de l’aide (30%) prend désormais la forme d’annulations de dette. Les annulations se sont ainsi substituées aux flux financiers nouveaux : le hard money se tarit. Les pays du Nord doivent respecter leurs engagements. Un tel respect dégagerait 140 milliards de dollars de ressources nouvelles pour le Sud ! Afin de sécuriser des montants réguliers d’aide, je propose de mettre en place une dotation mondiale pour le développement. La solution peut passer par un impôt nouveau ; une taxe sur les billets d’avion a été avancée par les uns, un impôt sur les émissions de carbone par les autres. Chacune de ces mesures a des avantages. Si la volonté politique existe, n’importe quel prélèvement fera l’affaire. Il n’est pas nécessaire d’inventer une nouvelle taxe.

Deuxième raison de l’échec : nous avons imposé aux pays pauvres un modèle de développement erroné. Ce modèle - celui du "consensus de Washington" - repose sur deux piliers : l’ouverture totale au commerce international et un Etat modeste, avec un système fiscal et social limité. Il est assez baroque de constater que les pays qui ont décollé ces dernières années ont suivi un modèle opposé : la Chine, l’Inde, la Corée et les "dragons" asiatiques ont mis en place un Etat dynamique structurant une économie fondée sur une insertion internationale unilatérale, agressive à l’exportation mais protégée à l’importation. J’en tire une leçon : promouvoir des règles commerciales asymétriques pour le Sud. Le commerce mondial est certes un moteur pour le développement des pays qui y sont intégrés, mais tous ne le sont pas. Le commerce mondial est, dans les faits, asymétrique : les pays pauvres importent nos marchandises sans réussir à exporter les leurs à un prix rémunérateur. Dans ces conditions, le droit commercial international ne doit pas être le même pour tous, il doit corriger ces déséquilibres. C’est en cours à l’OMC mais trop lentement.

J’en tire une autre leçon : il faut des Etats structurés pour le Sud. Nous tentons d’imposer dans ces pays la démocratie telle que nous l’entendons.

Mais la démocratie, c’est bien plus que des élections : c’est une organisation administrative qui fait respecter la loi, c’est une justice indépendante et une police contrôlée par cette dernière, c’est le respect des minorités. Et pour cela il faut un Etat. Seul un Etat dynamique, ou des structures régionales telles l’Union africaine ou le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique), peuvent piloter de tels investissements. Il faut aussi un investissement dans l’avenir et notamment le capital humain. Le développement ne se limite pas au seul commerce.

Nous avons des exemples à proposer. La construction européenne, notamment, est un modèle de solidarité économique réussie. Nous pouvons aussi contribuer directement à ces investissements publics. La Banque mondiale a commencé à le faire, en privilégiant la consolidation des institutions nationales sur la libéralisation. Il faut aller plus loin.

Je ne prendrai qu’un seul exemple : la santé. La santé est la plus fondamentale des conditions du développement. Plusieurs pandémies touchent le Sud : le sida, la malaria, la résurgence de la poliomyélite, les risques de grippe aviaire.

En Afrique, le sida remet en cause toute tentative de développement. En Afrique australe, l’espérance de vie a chuté de dix ans en dix ans. Chaque année, l’épidémie y tue plus de trois millions de personnes. La Banque mondiale a montré que la croissance par tête en Afrique serait trois fois supérieure sans les effets ravageurs de la maladie. Aider le Sud à se doter d’une politique de santé robuste est un devoir impérieux, sauf à accepter de regarder mourir des peuples entiers sans rien faire. J’ai proposé trois pistes au sommet des progressistes.

D’abord, l’accès aux médicaments génériques. L’accord OMC de Doha, en 2003, qui autorisait la production et l’exportation de génériques dans les pays pauvres en dérogation au droit de propriété intellectuelle, apparaissait comme un progrès. Mais la complexité de ce mécanisme est telle qu’il n’a jamais été appliqué. Sa simplification est un impératif.

Ensuite, la création d’un fonds public mondial pour assurer une santé de base universelle. Même aux coûts du générique, les pays les plus pauvres n’ont pas les moyens d’acheter les médicaments.

Enfin, il nous faut réfléchir à un droit d’ingérence sanitaire. Il y a là un devoir moral autant qu’une mesure de précaution élémentaire.

Doit-on laisser tel gouvernement gérer seul l’épidémie de grippe aviaire sur son territoire, alors qu’il refuse de reconnaître la gravité de la situation ? Non : les souches virales doivent être éradiquées à leur origine, avant que la mondialisation ne permette leur expansion accélérée et incontrôlable à travers la planète. Dernière raison de l’échec : nous ne faisons rien pour intégrer le Sud dans la gouvernance mondiale. Nous faisons la charité (un peu), mais nous refusons de partager le pouvoir. Les pays pauvres sont sous-représentés à la Banque mondiale, au FMI, au Conseil de sécurité de l’ONU. Ils sont absents du G 7. Il faut y remédier.

Des solutions sont sur la table, comme celles de l’administrateur du Programme des Nations unies pour le développement, Kemal Dervis : une représentation sur une base essentiellement démographique, par circonscription régionale. Je les soutiens. L’évolution du rapport de forces à l’OMC est en revanche encourageante. Avec une majorité de 121 pays sur 147, dans une institution fonctionnant sur le principe "un Etat, une voix", le Sud peut mieux que se faire entendre. Il en a pris conscience. C’est la clé de la réorientation des négociations de l’OMC au profit des pays en développement à condition que nous les aidions à se doter de l’expertise nécessaire. Redynamiser l’aide au développement. Enterrer le "modèle de Washington" et promouvoir un modèle alternatif fondé sur le commerce asymétrique et l’investissement public.

Donner aux pays en développement leur juste place dans la gouvernance mondiale. Tels sont les grands axes d’un projet progressiste pour le développement.