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La vente à la découpe

Un vrai scandale humain et urbain

Publié le jeudi 7 avril 2005.


Vous êtes engagé aux côtés de la Coordination des locataires d’immeubles vendus à la découpe. Qu’est-ce qui amène un ancien ministre de l’Economie à s’intéresser à ce dossier ?

La crise du logement a une cause économique : la spéculation. Une réalité sociale : les expulsions. Les ventes à la découpe sont un des symboles les plus choquants. Ces opérations n’apportent aucune valeur ajoutée à l’économie française : il s’agit de vendre du logement au détail, en empochant au passage une grosse plus-value. Les locataires qui n’ont pas les moyens d’acheter sont de fait expulsés après avoir payé leur loyer des années durant. Un exemple symbolique : l’îlot des Arquebusiers, proche de la place des Vosges, dans le centre de Paris. Quasiment aucune des 80 familles locataires n’est en mesure d’acquérir son logement. Elles devront se reloger en périphérie urbaine, où les prix sont plus accessibles. Cette relégation par la spéculation est totalement inacceptable.

D’aucuns prétendent que ces ventes ne sont qu’un épiphénomène de la crise du logement...

Ces opérations contribuent à vider les grandes villes de leurs habitants, exception faite des plus aisés. Une des premières inégalités aujourd’hui, c’est le logement. Trop de familles s’entassent dans des appartements exigus. Des personnes sont contraintes de s’exiler loin de leur lieu de vie et de travail. La France n’arrive plus à se loger. Il y a urgence ! La gauche, de retour au pouvoir, fera du logement une de ses priorités.

Les ventes à la découpe ont commencé sous le gouvernement Jospin. Pourquoi avez-vous laissé faire ?

Nous ne sommes pas restés inertes. Un décret pris par Louis Besson (l’ancien secrétaire d’Etat au Logement, ndlr) en 1999 a permis de protéger les locataires les plus fragiles. Mais, aujourd’hui, les ventes à la découpe prennent une ampleur exceptionnelle avec l’arrivée de fonds d’investissement, principalement anglo-saxons. L’exemple le plus frappant est la mise en vente par le groupe américain Westbrook de 3 200 logements dans la capitale, rachetés à des institutionnels hexagonaux. Bertrand Delanoë et Patrick Bloche (député PS de Paris, ndlr) ont alerté la puissance publique, qui est restée les bras ballants.

Pas vraiment. Le ministre délégué au Logement, Marc-Philippe Daubresse, a obtenu la signature d’un accord qui renforce la protection des locataires âgés...

C’est un non-accord. Il a été rejeté par les coordinations de locataires. A juste titre. Il ne traite pas l’immense majorité des ménages qui ne peuvent pas se porter acquéreurs de leur logement. Il ne limite en rien le phénomène des ventes à la découpe. Mieux, il les rend présentables. L’amendement Marini, qui divise par deux les impôts payés par les sociétés foncières, incite-t-il à faire plus de ventes à la découpe ? On a vu aussi le DAL occuper des logements dans des immeubles découpés...

Défiscaliser les opérations spéculatives, c’est une conception assez étonnante de l’intérêt général. La gauche reviendra sur l’amendement Marini. Les ventes à la découpe constituent un vrai scandale, humain, urbain, économique. Alors je comprends la réaction du DAL, même si je prône des actions légales. Quelles mesures préconisez-vous pour limiter ces ventes ?

Ces opérations ne sont en aucun cas une fatalité du capitalisme. Si les spéculateurs internationaux sévissent à Paris, c’est tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas le faire chez eux ! Aux Etats-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas, les ventes à la découpe sont impossibles. A New York, par exemple, les ventes par appartement sont conditionnées à l’approbation de la majorité des locataires de l’immeuble visé. Toujours à New York, avant de lancer une découpe, l’opérateur doit obtenir un « permis de diviser » de la municipalité. La ville peut le lui refuser. Importons ce permis dans le droit français. Le marché a sa logique : le profit. La puissance publique doit avoir la sienne : la protection du public.

Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, Libération, 7 avril 2005 Propos recueillis par Tonino Serafini