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En finir avec le mot « race »

Dominique Strauss-Kahn, Victorin Lurel
Publié le vendredi 8 juillet 2005.


Xénophobie et racisme ont retrouvé dans le débat public une prégnance aussi inquiétante qu’inacceptable, comparable à celle des années 80 quand les « Beurs » marchaient pour leurs droits et SOS Racisme lançait « Touche pas à mon pote ». Il faut bien reconnaître que pour de nombreux citoyens, bien des difficultés de cette époque, liées à leur origine ou à leur couleur de peau, n’ont pas trouvé de remèdes. Pourtant, alors que la « peur de l’autre » n’a jamais semblé aussi présente dans notre société, la République a manqué deux fois en un an l’occasion de bannir de sa Loi fondamentale le terme de « race », référence funeste s’il en est. Au terme des dernières révisions constitutionnelles, l’article 1er dispose toujours que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée ».

En dépit de la mobilisation des élus du groupe socialiste qui ont même déposé une proposition de loi constitutionnelle en ce sens, l’acte symbolique fort qu’aurait constitué la suppression du mot « race » de l’article même qui dispose des valeurs fondamentales de la République a été défendu en vain. Il aurait été opportun de rappeler à cette occasion l’égalité de tous les êtres humains. Ainsi rédigée, la Constitution continue de reconnaître l’usage d’un terme dont l’application à l’espèce humaine est non seulement inopérante, mais surtout, choquante et dangereuse. Même dans une phrase qui a pour objet de lui dénier toute portée.

Utilisé pour signifier la différence entre les groupes humains, le terme de race s’attache à des caractères apparents, le plus souvent immédiatement visibles (la couleur de la peau, la forme du visage, etc.). Mais à ces différences physiques visibles peuvent s’ajouter celles des vêtements, des mœurs, de la culture, du niveau social, de la lignée généalogique, etc. En somme, tout ce qui peut différencier les hommes entre eux. Il existe ainsi de multiples acceptions de ce terme, selon le critère de distinction utilisé. Pour autant, le concept biologique de « race » n’est pas pertinent pour l’espèce humaine. Les drames qu’il a causés dans l’Histoire ne quitteront pas nos mémoires. Politiquement et juridiquement, c’est un concept dangereux. Dangereux par son indétermination, il l’est également par son rôle de support idéologique. Par la classification et la hiérarchisation qu’il induit, l’utilisation de ce terme, philosophiquement, historiquement et politiquement, permet de présenter un ordre des valeurs justifiant, soi-disant scientifiquement, l’inacceptable. Le mot « race » a toujours servi de support au discours qui prélude à l’extermination des peuples.

En tant que républicains et socialistes, nous ne pouvons qu’être choqués par ce terme. Les occasions manquées de 2003 et de 2004 ne doivent pas nous détourner du chemin parlementaire menant à la suppression du mot « race » de notre Constitution. Il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier. Si supprimer le support ne supprime pas le discours, il lui ôte toute la légitimité qu’il pourrait puiser dans la Loi fondamentale. En effet, lorsque la Constitution interdit à la loi d’établir une distinction selon « la race », elle légitime paradoxalement, en creux, l’opinion selon laquelle il existe des « races distinctes ». L’utilisation du terme de race est de plus contraire à notre tradition constitutionnelle républicaine qui vise depuis 1789 à nier le concept même de différence naturelle, différence par la naissance ou par la généalogie.

Il faut rappeler que l’apparition de ce terme dans la Constitution est conjoncturelle et historiquement datée. On peut en effet comprendre les raisons pour lesquelles deux parlementaires insoupçonnables et de haute volée, Pierre Cot et Paul Ramadier, au lendemain de l’horreur de la Seconde guerre mondiale, ont amendé le préambule du projet de Constitution de 1946 lors des travaux de la Commission constituante. Ils y ont ajouté qu’ « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». En revanche, on comprend beaucoup moins que le constituant de 1958 ait conservé ce terme alors même que l’interdiction faite par notre loi fondamentale de discrimination selon « l’origine », terme plus objectif et général, donne les garanties suffisantes à l’interdiction de distinction selon la couleur de la peau, l’origine génétique, généalogique, sociale, culturelle, etc. Il faut avoir le courage de reconnaître que même en matière constitutionnelle, certains héritages n’en demeurent pas moins des anachronismes.

De surcroît, l’argument selon lequel la suppression de ce mot risquerait d’impliquer une régression dans la lutte contre les discriminations doit être écarté. Ce terme continuera de figurer non seulement dans le préambule de la Constitution de 1946, mais également dans la Convention européenne des droits de l’homme, elle-même inspirée de notre texte fondamental. Sa suppression du texte de notre Constitution n’entraînerait pas moins de protection en ce qu’il ôterait à des discours fondés sur l’inégalité « naturelle » la légitimité qu’ils peuvent puiser aujourd’hui dans notre Loi fondamentale.

Le jugement de valeur à partir des différences constatées qu’entraîne le terme « race » conduit invariablement au même refus de l’autre alors que tout au contraire, il convient d’accepter, en toute fraternité, l’altérité et la différence. Seule l’acceptation de celle-ci doit permettre de maintenir la diversité et la richesse de l’humanité. Plus que jamais, dans le contexte actuel, notre Constitution doit réaffirmer de manière haute, lucide et conséquente ces valeurs égalitaires et universalistes. Une France plurielle doit savoir faire cohabiter harmonieusement universalité et « diversalité ».

La réforme constitutionnelle qui ne manquera pas d’être engagée par les socialistes ne devra pas omettre de bannir la race de notre loi fondamentale. Nous sommes les héritiers et les garants de valeurs humanistes qui ont nourri les combats séculaires pour la liberté et l’égalité de tous les être humains. Notre constitution a fait école pour nombre de démocraties du monde entier. Soyons, une nouvelle fois, une avant-garde de l’universalisme.


Signataires : Patrick Bloche député de Paris, conseiller de Paris, premier secrétaire fédéral Kléber Mesquida, député de l’Hérault Alain Vidalies, député des Landes


Contribution thématique au congrès national du Mans présentée par Victorin Lurel, député de la Guadeloupe, secrétaire national à l’Outre-mer et Dominique Strauss-Kahn, député du Val d’Oise (8 juillet 2005).