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"Le développement passe aussi par les campagnes"

Michel Rocard
Publié le lundi 19 septembre 2005.


En marge de l’Assemblée générale de l’ONU qui coïncide avec le 60e anniversaire de l’institution, Michel Rocard apporte son éclairage sur les problèmes du développement dans un entretien accordé au Cameroon Tribune le 19 Septembre 2005.

Ce sommet des Nations Unies vous semble-t-il avoir atteint les objectifs de départ ?

Si je me fie aux documents sur lesquels les participants semblent se mettre d’accord, je puis dire que les résultats atteints peuvent paraître insuffisants. Mais je dois également dire qu’on a craint d’avoir bien moins que ce qui aujourd’hui est sur la table.

S’agissant du développement en particulier, puisque c’est de cela qu’il est question essentiellement, je puis dire que les pays riches ne savent pas transmettre le secret de fabrication. Et pour cause, l’art du développement relève d’une conduite psychologique et sociale locale, à travers la bonne gouvernance reflétée elle-même par la compétence des dirigeants.

Quelle place tiendrait l’aide au développement dans la lutte contre la pauvreté ?

L’aide est une nécessité, mais pas une condition suffisante. Les Nations Unies rappellent à nouveau l’objectif de 0,7% du PNB que les pays riches devraient allouer à l’aide au développement. Ca ne coûte rien de le dire, encore faut-il le faire.

J’observe que les objectifs de développement deviennent des enjeux électoraux dans certains pays du Nord. C’est le cas en Scandinavie, mais pas encore en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, trois des locomotives économiques de l’Europe. Mais la pression de l’Union européenne en matière d’aide au développement est telle que les gouvernements des pays les plus riches doivent intégrer cette donne dans leur gestion des affaires internationales.

Malgré la mobilisation que vous évoquez, le développement des infrastructures tarde à décoller à cause des financements. Sur quel levier actionner ?

Il faut bien sûr continuer le combat. Les ambitieux programmes comme le NEPAD ont besoin d’un soutien fort. Puisque vous parlez de levier, celui des infrastructures doit pouvoir donner à l’Afrique un tout autre visage dans le domaine des échanges commerciaux. Trop d’opportunités commerciales se perdent du fait des entraves physiques aux mouvements des hommes et des biens.

Où donc trouver les fonds nécessaires alors que les pays croulent encore sous le poids d’une dette qui tarde à être allégée ?

Pour ce qui est de la dette, je dois dire qu’on a beaucoup progressé sur le chemin de l’annulation, même si on reste en deçà des attentes des pays les plus endettés. Mais il semble utile d’apporter un éclairage : on ne peut annuler totalement la dette sans risque pour les pays les moins avancés. Les pays dont la dette est annulée parce qu’ils ne peuvent plus payer, auront du mal à retrouver du crédit auprès des bailleurs.

Mais pour l’Afrique, il un problème de fonds : le déficit alimentaire.

Très peu de pays en Afrique ont atteint l’autosuffisance alimentaire. Beaucoup trop de ressources financières sont encore utilisées pour importer de quoi nourrir les populations. On s’endette pour faire manger les populations.

Et cette situation n’est pas le fait du hasard. Elle vient de ce que les campagnes ont été oubliées, je dirais même qu’on les a massacrées. Il y a un trop grand déséquilibre entre ce qui va au développement des villes et ce qui est consacré aux zones rurales. Pour résoudre le problème crucial du déficit alimentaire, il faudra passer par les campagnes, en les dotant bien sûr des moyens et structures nécessaires. C’est la pari de l’avenir.

Propos recueillis par R. D. Lebogo Ndongo