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Aucun instrument fiscal n’est tabou

Publié le mercredi 14 septembre 2005.


Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d’Oise, paru dans le quotidien Le Monde daté du 14 septembre 2005. Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Claire Guélaud et Isabelle Mandraud

L’Allemagne vote le 18 septembre. Or le parti de droite, la CDU, semble en passe de l’emporter face à une gauche divisée et un SPD critiqué pour ses réformes. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?

Si la droite devait l’emporter, ce serait très largement à cause de la division de la gauche. Quelle que soit l’amitié que j’ai pour Oskar Lafontaine, je pense que ce n’est jamais un bon service à rendre aux électeurs que l’on veut défendre que d’empêcher, au nom de la gauche, ceux qui étaient tout de même plus proches de vos idées de l’emporter pour garantir la victoire de ceux qui en étaient le plus éloignés. Et cette leçon peut servir pour les élections françaises. La social-démocratie européenne est-elle en crise ? Je le pense. Nous n’avons pas su renouveler le corpus théorique de la gauche européenne. Nous commençons seulement à l’inventer, et les électeurs de gauche s’en trouvent désemparés. Pour autant, la situation de la gauche allemande ne peut qu’avoir un retentissement sur ce qui se passe en France. Ne serait-ce que parce qu’elle apporte un démenti à tous ceux qui pensaient qu’en rejetant le traité constitutionnel européen, on pourrait construire quelque chose de plus à gauche en Europe.

Pourquoi la droite monopolise-t-elle aujourd’hui le discours sur le modèle social français sans que la gauche y réponde ?

Comment Nicolas Sarkozy peut-il dire qu’il a des solutions pour les Français tout en assurant qu’il ne les mettra en œuvre que dans deux ans ? Il est le numéro deux du gouvernement, le patron du parti majoritaire à l’Assemblée. S’il a des solutions, qui l’empêche de les proposer au gouvernement ? La vérité, c’est que, s’il ne le fait pas, c’est parce que le sarkozysme, ça ne marche pas. L’insécurité n’a pas diminué. Et l’on voit aujourd’hui les conséquences économiques et sociales du budget 2005 qu’il a préparé lorsqu’il était aux finances...

Êtes-vous partisan d’une rupture avec les politiques en cours ces dix dernières années ?

Que le modèle social français ait besoin d’ajustements, j’en suis d’accord. La différence, c’est que Sarkozy propose la rupture sociale en balayant notre système et que moi, je crois simplement qu’il faut le réformer. Il ne faut pas importer en France, comme le président de l’UMP le prône, un modèle anglo-saxon, et largement américain. Mais redéfinir qui sont les perdants et les gagnants de la mondialisation, et rediscuter, avec l’ensemble des partenaires sociaux, du compromis social-démocrate traditionnel sur lequel vit une société comme la nôtre. Autour de quels axes ? Nous devons inventer un nouveau compromis entre tous les acteurs de notre société autour de ce que j’appelle le développement solidaire. Ce nouveau compromis ne doit plus avoir comme référence le seul marché mais se fixer comme objectif la durabilité.

Quel rôle assignez-vous à l’impôt ?

Le problème n’est pas de dire qu’il faut moins d’impôt mais quels services publics on veut avoir et comment les financer. Faire croire aux Français qu’on va régler leurs problèmes - ce qui passe largement par une amélioration des services publics - et, dans le même temps, affirmer qu’on a un seul objectif, la baisse de la fiscalité à commencer par l’ISF, cela relève du grand écart.

Vous avez évoqué la possibilité d’augmenter la TVA ?

Le prix de certains produits importés baisse en raison de la mondialisation, et le consommateur y gagne. Dans le même temps, ces importations déstructurent notre tissu industriel et le citoyen y perd comme salarié. Pour mieux maîtriser les effets de la mondialisation, nous devons être capables d’utiliser tous les instruments fiscaux sans tabou, y compris les impôts sur la consommation comme la TVA. Il ne s’agit pas d’augmenter le prélèvement global sur la consommation au moment où le pouvoir d’achat est la préoccupation principale des Français, mais de s’en servir comme d’un outil pour faire évoluer les structures de consommation. A l’instar de ce qui peut être fait, par exemple, pour lutter contre la " junk food " et l’obésité.

Vous aviez parlé de " nationalisations temporaires ". Y tenez-vous toujours ?

Dans des secteurs stratégiques, comme la défense, ou soumis à des délocalisations, l’Etat doit pouvoir intervenir temporairement afin de leur permettre de passer un cap difficile. Là non plus, il ne faut pas qu’il y ait de tabou à l’intervention publique.

Le PCF et l’extrême gauche récusent votre démarche. L’alternance est-elle possible sans eux ?

Je ne crois pas que l’on puisse tisser des liens avec des partenaires potentiels avant de savoir quelle est notre ligne. Ce sera fait au congrès du PS et le débat aura lieu à partir de là.

Si Laurent Fabius échoue dans sa tentative de prendre la direction du PS, cela lui interdit-il d’être candidat à l’investiture ? Non. Mais il est peu probable que le PS choisisse une orientation politique à son congrès et un candidat qui aurait refusé cette orientation. Il y aura forcément une cohérence. Ce que je vois, c’est que Laurent Fabius n’a pas réussi à fédérer les tenants du non au référendum.

Au sein de la majorité du PS, il y a désormais plusieurs candidats potentiels, dont vous-même, sans qu’un seul se distingue vraiment...

C’est vrai qu’après le choc du 21 avril 2002, nous aurons mis du temps avant de reconstruire un leadership. L’important, c’est qu’ensuite notre candidat puisse devenir le président élu par les Français. J’ai l’intention de présenter ma candidature devant les militants et nous verrons alors.

Vous définissez-vous toujours comme un réformiste, mot moins en vogue aujourd’hui au PS ?

Je ne veux pas incarner une ligne " à gauche toute ", mais proposer un programme " à gauche certainement ", c’est-à-dire qui puisse être mis en œuvre avec certitude. On ne peut renoncer à faire un pas en avant au service des plus défavorisés au motif que l’idéal n’est pas atteint.

Vous semblez parfois soutenir François Hollande au poste de premier secrétaire, parce que vous pensez qu’il ne sera pas choisi pour la candidature à la présidentielle...

L’annonce de son quatrième mandat a été contestée, mais j’ai décidé d’emblée de le soutenir car son orientation était en résonance avec la mienne. Nous verrons, le moment venu, qui est le plus en situation de représenter le PS à la présidentielle. Si c’est François Hollande, je le soutiendrai. Je demande simplement la réciprocité.