Accueil du site - 30. Pour CONVAINCRE - Positions - Secteur public
 

Pour un nouveau souffle de la décentralisation

Contribution thématique au congrès national du Mans présentée par les présidents de Régions (juillet 2005)
juillet 2005.


« La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire » François Mitterrand

Face à la crise de notre démocratie représentative, face à l’affaissement de notre modèle d’action publique, le défi qui est lancé aujourd’hui à toute la Gauche et au Parti socialiste en particulier est de refonder le contrat démocratique entre tous les Français. Rien ne le permettra si nous ne répondons pas à la détresse civique qui affecte notre pays, reflet d’une crise sociale plus grave encore, et si nous ne réformons pas les outils de pilotage de l’action publique qui permettront de retrouver la confiance perdue entre les citoyens et leurs représentants.

Parmi la somme des échecs de la droite, la décentralisation Raffarin figure au premier rang des occasions ratées... Tout est plus flou, plus embrouillée, croisé. Les Régions, en particulier, ont été corsetées, du fait des majorités de droite à l’Assemblée nationale et au Sénat.

La décentralisation est donc à nouveau au cœur du débat public. Parce qu’elle est une source de rétablissement du lien entre des citoyens qui confirment leur confiance dans les élus locaux et un système de représentation démocratique dans lequel ils ne se reconnaissent plus. Parce qu’elle est aussi une source de renouvellement des pratiques politiques, des modes d’expression et d’expérimentations de nouvelles solidarités.

Dans la perspective de l’élaboration de notre Projet, nous appelons le Parti socialiste à donner un nouveau souffle au processus de décentralisation.

La Gauche doit renouer avec l’ambition décentralisatrice

Dans le sillage des élections municipales de 1977 où la Gauche avait progressé, notre Parti s’est incarné sous la forme de maires, de présidents de conseils généraux et régionaux, dont la volonté et les initiatives étaient contrariées par la tutelle de l’Etat et l’accaparement de tous les leviers d’action par la droite.

Parce que le Parti socialiste était en prise directe avec ses élus locaux, il a été le premier à dénoncer le centralisme étatique. C’est sur la base des expériences conduites dans les territoires par des élus de Gauche que le Parti socialiste a opéré le tournant de la décentralisation. Voilà pourquoi François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre avaient fait de la décentralisation l’un des piliers du Projet d’alternance de 1981.

Après le grand élan des Lois Defferre, et malgré l’apport des lois Voynet et Chevènement, nous nous sommes trop souvent contenté de décentraliser à coups d’imperceptibles adaptations, sans réviser la carte territoriale, en nous gardant de toucher aux structures qui constituent un véritable obstacle à la refonte, désormais incontournable, de notre mode d’organisation institutionnelle.

Nous en connaissons le résultat : notre pays demeure centralisé et monolithique, alors qu’au Royaume-Uni, l’Ecosse et le Pays de Galle se sont engagés sur la voie de la régionalisation, que l’Espagne et l’Italie ont institué des régimes d’autonomies se rapprochant du modèle Allemand.

En renonçant à s’appuyer sur les élus locaux, en cédant trop souvent à la tentation de l’interventionnisme étatique, la Gauche a sacrifié une part de son identité décentralisatrice, laissant un nouvel espace à la droite. Or, lorsque la droite décentralise, elle ne décentralise que ce qu’elle veut voir disparaître, sans en assumer les conséquences. Depuis 2002, elle n’a cessé de dévoyer l’idée de décentralisation, la résumant à une simple délégation de compétence, à un simple transfert de charges qui annonce un dépeçage des politiques publiques.

Aujourd’hui, c’est aux socialistes qu’il revient de renouer avec l’esprit des Lois Defferre, de réaffirmer et renouveler leur volonté décentralisatrice, de redéfinir en profondeur et dans la durée les missions de l’Etat et le fonctionnement de l’administration. Car rien n’est plus essentiel pour préserver notre identité que de doter notre pays d’un Etat moderne, souple, efficace et véritablement décentralisé, gage d’une République vivante et solidaire.

Débloquer la démocratie locale, inventer une nouvelle organisation institutionnelle

L’Acte I de la décentralisation lancé par les Lois Defferre a libéré les possibilités d’innovation, encouragé la participation citoyenne tout en renforçant les outils de pilotage de l’action locale. Au prix, cependant, de plusieurs compromis : absence de hiérarchie entre les échelons territoriaux, absence de réforme du Sénat, renoncement à l’interdiction du cumul des fonctions, doublonnement du réseau administratif de l’Etat avec celui des collectivités locales...

Il y a, aujourd’hui, un immense paradoxe entre, d’un côté, un Etat incapable de se réformer en profondeur et, de l’autre, des territoires en action et une société dont la capacité d’innovation, de créatitivité et de solidarité ne demande qu’à s’exprimer. Le maintien dans notre pays de pratiques jacobines héritées de la période napoléonienne est l’une des causes principales de l’affaiblissement de notre démocratie représentative.

L’Etat ne parvient plus à exercer correctement ses fonctions régaliennes, à faire jouer la solidarité nationale, à produire de l’égalité là où la crise de l’action publique est la plus forte. Et, alors même que son unité n’est plus menacée, il persiste à vouloir s’occuper encore et toujours de tout, sans en avoir ni les ressources ni les moyens, favorisant les croisements de compétences, de responsabilités et d’intérêts.

Dans le même temps, les Régions ont une fiscalité si étroite et si obsolète qu’elles sont financièrement étranglées. La faute en revient à l’Etat qui a progressivement arraché aux Régions un bout de droits de mutations, un bout de taxe d’habitation... si bien qu’elles sont aujourd’hui fiscalement et financièrement dos au mur.

Relancer la décentralisation, âge adulte de la démocratie

Vingt trois ans après le tournant de 1982, la Gauche doit être porteuse d’un nouveau compromis, d’un nouveau tournant de la décentralisation. Nous devons bâtir un nouvel équilibre institutionnel et dépasser cette réalité d’une structure étatique pyramidale où la déconcentration se résume trop souvent à la capacité de résistance de l’Etat face aux avancées de la décentralisation.

Comment faire basculer le système actuel vers une décentralisation adulte ? Quelle méthode de réformes, institutionnelles et administratives, devons-nous proposer pour faire sauter le verrou jacobin et retrouver l’élan de 1982 ?

Inutile de rêver d’un grand soir de la décentralisation. Le débat n’est plus de savoir qui de la Région ou du Département doit l’emporter - chacun à sa place dans l’exercice des compétences qui lui sont déléguées et qui doivent être clarifiées - mais de repenser les relations entre l’Etat et les nouveaux espaces de pouvoirs locaux. Il faut être pragmatique : chercher les effets de levier les plus efficaces, imaginer, expérimenter, identifier les points de basculement pour promouvoir un nouveau mode de gouvernement des affaires publiques, plus démocratique et participatif, pour construire une nouvelle organisation institutionnelle et administrative, une France moderne et efficace dont la Région serait le pivot démocratique, comme c’est déjà le cas dans la plupart des pays européens.

Parler de décentralisation, c’est parler de démocratie. Car la décentralisation n’est pas qu’une affaire d’organisation des territoires et de redistribution des compétences. C’est une logique directrice qui doit figurer au cœur de notre Projet d’alternance parce qu’elle est un facteur de lutte contre les inégalités sociales et territoriales ; parce qu’elle est un puissant levier de transformation du pouvoir économique et politique, capable de redonner du souffle à l’action publique en réformant notre modèle d’organisation institutionnelle.

Dans le nouveau mode de gouvernement que nous défendons, la Région a vocation à être l’interface entre un Etat recentré sur ses missions stratégiques et des collectivités locales dotées de compétences clarifiées. La Région est aujourd’hui l’échelon naturel et pertinent d’aménagement et de développement des territoires. Elle est, en France, la seule collectivité capable de faire entendre la voix de nos territoires à l’échelle de l’Europe.

A la Région de définir les stratégies territoriales de développement ; à l’Etat de mettre sur pied un véritable mécanisme de péréquation pour éviter les risques de déséquilibres territoriaux, de jouer son rôle de régulateur, de stratège pour garantir la solidarité nationale, gage de cohésion sociale et assumer ses compétences fondamentales en matière de défense, de sécurité, de santé, d’éducation, de justice sociale et de service public.

Et si nous insistons sur la réalité régionale, c’est que nous avons la conviction de défendre une forme moderne de citoyenneté, attachée à des valeurs qui traversent aujourd’hui l’Europe et les grandes organisations mondiales.

Le Parti socialiste doit vivre à l’heure d’un nouvel équilibre entre local, régional et national

Le Congrès du Mans doit être celui du rassemblement autour du projet d’alternance. Il doit aussi permettre au Parti socialiste de renouveler son fonctionnement. Réformer notre organisation institutionnelle ne peut aller sans un renouvellement profond de nos propres pratiques et de nos modes d’expression. Notre capacité à transformer la société sera aussi jugée sur notre capacité à nous réformer nous-mêmes. Le Parti socialiste doit se soucier de sa propre décentralisation, pour trouver un nouvel équilibre entre local, régional et national.

Réformer en profondeur l’organisation du Parti socialiste, c’est d’abord assurer à sa direction et dans ses organes délibératifs une représentation plus à l’image de son électorat, de ses forces vives et de ses élus locaux. C’est sortir du diptyque dépassé fédérations-national qui ne fait que reproduire le face à face hérité d’une autre époque entre les départements et l’Etat. C’est aussi prendre en compte, dans notre fonctionnement interne, l’existence d’une scène politique régionale dont l’élection de mars 2004 a démontré qu’elle est forte d’enjeux et d’expériences pour la préparation de l’alternance, qu’elle est aujourd’hui l’espace où se forge le projet décentralisateur de la Gauche.

Comment comprendre que notre parti continue d’ignorer le fait régional qui n’a cessé, depuis vingt ans, de prouver son dynamisme et sa créativité ? Comment comprendre que le Parti socialiste ait conservé une organisation interne encore trop coupée des nouveaux espaces de démocratie territoriale dont la Région est un pivot incontestable ?

Comment comprendre, enfin, que les Parlementaires bénéficient d’un statut de membre de plein droit de notre Conseil national, alors que que les maires de grandes villes, les présidents de conseils généraux ou régionaux ne disposent toujours pas de ce droit ?

De la même façon qu’il est urgent de repenser le mécano institutionnel de nos territoires, nous pensons que le Parti socialiste doit aller plus loin dans la refonte de sa propre organisation. C’est pourquoi nous demandons que le Congrès du Mans renouvelle nos statuts afin de reconnaître l’existence de la scène politique régionale au sein de notre formation politique, notamment à travers de véritables Comités régionaux actifs et fédérateurs, à travers une plus grande ouverture de notre Parti aux réalités géographiques du pays.

Notre projet d’alternance doit se nourrir des territoires

La décentralisation a fait ses preuves. C’est une réussite, opérationnelle, politique, civique. Elle a apporté plus de citoyenneté et de démocratie, plus de créativité et de solidarité. Les collectivités locales sont devenues de véritables laboratoires d’idées et d’expérimentation.

Regardons ce qu’apporte la coordination des politiques publiques mise en place depuis un an dans les Régions gagnées par la gauche en mars 2004. Elles ont pris à bras le corps tous les sujets qui sont au cœur de la vie quotidienne de nos concitoyens.

Dans la lignée de l’action publique conduite par les huit Régions dirigées par la Gauche depuis 1998, elles impulsent des politiques nouvelles, fondées sur le développement de nouvelles formes de solidarités pour faire vivre et progresser l’égalité des chances, en améliorant les conditions de vie des étudiants, en aidant les familles pour l’éducation des enfants, en favorisant un égal accès des lycéens à la culture, en soutenant les emplois de l’économie sociale et solidaire.

Nos Régions se sont engagées à promouvoir les filières technologiques, à soutenir l’accueil d’équipes de recherche, à adapter notre outil de production, à favoriser la reprise-transmission d’entreprises pour protéger les emplois d’aujourd’hui et préparer ceux de demain.

Les Régions œuvrent au renouveau du service public en traduisant la demande sociale par une offre adaptée : la régionalisation des TER en fournit une illustration, tant elle a permis de redonner ses lettres de noblesse au service public ferroviaire de proximité. Nos Régions contribuent avec force au débat sur la modernisation de l’action publique, conscientes qu’il faut inventer un lien nouveau entre la démocratie représentative et la démocratie participative, conscientes aussi qu’il faut multiplier les espaces pour l’exercice d’une citoyenneté plus active où les décisions sont ouvertes à la contestation démocratique.

Ne méprisons pas cette capacité d’initiative qui fait bouger la France.

Notre projet d’alternance doit au contraire se nourrir des politiques innovantes et créatives impulsées par les Régions de Gauche comme par toutes les collectivités où des élus de Gauche contribuent à inventer l’avenir et à transformer le quotidien.

Ne laissons pas croire, à l’occasion du Congrès du Mans, que notre formation politique vit un état d’introspection permanent, réévaluant sans cesse sa propre ligne politique. Les Français ne nous pardonneraient pas cet égoïsme, eux qui expriment, scrutin après scrutin, l’affaissement de la confiance accordée à l’ensemble du système politique. Montrons, au contraire, que nous construisons un Parti qui va de l’avant, qui aborde les échéances sur ses propositions.

C’est la ligne directrice que nous nous sommes fixés dans la conduite de nos politiques régionales. Depuis un an, nous avons fait des choix forts, avec nos convictions pour seule boussole, dans le respect de notre identité décentralisatrice, en tirant aussi les leçons des échecs passés, en nous tenant à l’écoute de la détresse civique et sociale qui fait aujourd’hui des ravages dans notre société.

Fidèle à l’ambition décentralisatrice qui a longtemps été la sève de son ambition, le Parti socialiste doit aujourd’hui inventer et revendiquer un nouveau tournant institutionnel pour transformer notre société.

Cela implique des réformes audacieuses, qu’il s’agisse d’interdire le cumul des fonctions, d’assumer pleinement la régionalisation, de renouveller nos institutions, ou encore de réformer la fiscalité locale en l’adossant sur les compétences réelles de chaque échelon de collectivité...

Bâtissons ensemble un nouveau pacte de démocratie, d’égalité et de solidarité territoriales !


Signataires : Alain Rousset, président du Conseil régional d’Aquitaine Pierre-Joël Bonte, président du Conseil régional d’Auvergne Philippe Duron, président du Conseil régional de Basse-Normandie Jean-Yves Le Drian, président du Conseil régional de Bretagne François Patriat, président du Conseil régional de Bourgogne Michel Sapin, président du Conseil régional du Centre Jean-Paul Bachy, président du Conseil régional de Champagne-Ardenne Raymond Forni, président du Conseil régional de Franche-Comté Victorin Lurel, président du Conseil régional de Guadeloupe Alain Le Vern, président du Conseil régional de Haute-Normandie Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Ile de France Jean-Paul Denanot, président du Conseil régional du Limousin Jean-Pierre Masseret, président du Conseil régional de Lorraine Martin Malvy, président du Conseil régional de Midi-Pyrénées Daniel Percheron, président du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais Jacques Auxiette, président du Conseil régional des Pays-de-la-Loire Claude Gewerc, président du Conseil régional de Picardie Ségolène Royal, présidente du Conseil régional de Poitou-Charentes Michel Vauzelle, président du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte-d’Azur Jean-Jack Queyranne, président du Conseil régional de Rhône-Alpes