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VERITES EUROPEENNES

Publié le lundi 21 août 2006.


Le « non » français du 29 mai, confirmé par le « ne » néerlandais du 1er juin, a éclaté comme un coup de tonnerre. Ces refus ont plongé l’Europe dans la crise. Bien sûr, de nombreux problèmes préexistaient au 29 mai. Mais sans le non de la France, pays fondateur, inspirateur et moteur avec l’Allemagne de la construction européenne, la crise n’aurait évidemment jamais eu cette ampleur.

La crise est directe, avec la mise en sommeil du traité constitutionnel. Il n’y a ni plan B évident, ni renégociation aisée. Il est bien évidemment difficile de représenter un texte inchangé aux peuples qui l’ont rejeté. Et il n’y a pas de marge de manoeuvre dans une Europe dominée par les conservateurs pour la renégociation à court terme d’un autre texte plus conforme à nos vues.

Mais la crise est aussi globale, avec la remise en cause de l’Europe existante. Le « non » a libéré des forces centrifuges insoupçonnées. C’est le ministre italien du travail, Roberto Maroni, qui remet en cause l’euro. C’est Tony Blair qui veut démanteler la politique agricole commune. C’est le Conseil européen qui refuse de financer les nouveaux adhérents et exige une diminution du budget européen à 1% du PIB – une misère. Ce sont, de toute part, les solidarités qui se désagrègent. Ce sont les intérêts nationaux qui prennent le dessus. C’est l’Europe qui menace de se défaire, le détricotage de la construction européenne qui peut commencer. Le « non » n’était pas tranquille, il se révèle violent. La crise n’est pas salutaire, elle est délétère.

Comment sortir de cette crise, la plus grave de la construction européenne ? L’Europe est à la croisée des chemins, elle joue en ce moment son avenir, notre avenir. Pour surmonter la crise, il faut une grille d’analyse lucide, une vision claire de l’avenir, une méthode pour relancer la construction européenne. Pour y contribuer, nous voulons dire quelques vérités sur l’Europe.

1. NOTRE GRILLE D’ANALYSE : COMPRENDRE LA DEFIANCE FACE A L’EUROPE TELLE QU’ELLE SE CONSTRUIT.

Pourquoi les Français, et en particulier les Français de gauche, notamment socialistes, ont-ils voté « non » le 29 mai ? Quelles sont les leçons que nous pouvons en tirer pour l’avenir ? Les causes du non sont avant tout nationales : les électeurs, nos électeurs, ont d’abord voulu sanctionner une politique injuste, inefficace et mensongère, sourde aux messages du suffrage universel et du mouvement social. Ils ont d’abord dit non à Jacques Chirac.

• Mais soyons lucides, ils ont aussi voté « non » pour sanctionner les dérives de l’Europe actuelle. Contrairement au vote néerlandais, le « non » français est composite. Il comprend certes un vote souverainiste anti-européen et une composante nationaliste, à forte teinte xénophobe, Mais il intègre aussi un « non » pro-européen du moins dans ses intentions, un « non » qui se défie des dérives actuelles de l’Europe, un « non » qui ne veut pas détruire l’Union mais la réorienter.

Ce « non » est pour l’essentiel un « non » de gauche. Il rejette quatre éléments de l’Europe actuelle :

1. L’Europe technocratique. Beaucoup de Français ont l’impression de ne pas avoir de prise sur les décisions européennes. Ils stigmatisent les « technocrates de Bruxelles », qui décident de leur avenir dans leur dos. Ils veulent que l’Europe se fassent avec eux, pas sans eux, encore moins contre eux. Cette critique n’est pas sans excès, mais elle doit être entendue. Il y a bien un « déficit démocratique » européen. En un mot : on a confié des compétences politiques à un exécutif fonctionnel – la Commission européenne. La Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA), en 1951, et surtout la Communauté économique européenne (CEE), en 1957 transféraient des compétences nationales au niveau européen. Mais cette construction supranationale n’était pas fédérale. Cette méthode – la « méthode Monnet » - était indispensable pour surmonter les réticences souveraines. Elle était utile, voire nécessaire, au début de la construction européenne, lorsque l’Europe avait des compétences limitées. Elle l’est devenue de moins en moins à mesure que les transferts de compétences se sont multipliés - les droits de douane, l’agriculture, la TVA, les transports, la recherche, l’euro… Elle arrive aujourd’hui à épuisement.

2. L’Europe libérale. Dans un monde plus exposé, plus mouvant, plus risqué, les citoyens ont besoin de protection. Or ils ont le sentiment que l’Europe, loin d’être un rempart, est un cheval de Troie de la mondialisation. C’est un élément essentiel du « non » de gauche. Ce sentiment est en partie fondé. Les politiques menées depuis quelques années au niveau européen dérivent vers un libéralisme dur. A cet égard, la Commission Barroso est symptomatique de ces dérives : directive « Bolkestein », remise en cause de la directive sur le temps de travail, troisième paquet erroviaire…

Mais il est faux de dire que l’Europe est en soi libérale. Elle peut porter des politiques économiques libérales ou volontaristes, selon que la droite ou la gauche est au pouvoir. Prenons le cas de la directive Bolkestein. La compétence économique en jeu est la libre-circulation des services : il s’agit de créer une économie européenne unifiée, c’est un objectif qui n’est ni de gauche ni de droite. Cet objectif peut être réalisé à travers une politique libérale : c’est le projet de directive Bolkestein, qui organise la concurrence sociale entre Etats. Il peut aussi l’être à travers une politique sociale-démocrate : c’est la proposition faite par la députée socialiste Evelyn Gebhardt, rapporteur du texte au Parlement européen, fondée sur la reconnaissance mutuelle et l’harmonisation des droits sociaux. Historiquement, d’ailleurs, les politiques économiques menées en Europe relèvent pour l’essentiel d’une logique volontariste de gauche. La politique agricole commune, au-delà de ses défauts, n’est certes pas libérale. L’harmonisation européenne de la TVA non plus. Les grands investissements européens dessinent une politique industrielle volontariste : financement des TGV Perpignan-Barcelone, du TGV Est, des infrastructures électriques à haute tension trans-nationales ; subventions à Airbus et Arianespace ; lancement d’Iter et de Galileo ; développement du programme-cadre de recherche-développement…

Cette confusion entre compétences économiques et politiques libérales a été entretenue avec succès par certains partisans du « non ». Le « marché où la concurrence est libre et non faussée » notamment, antienne de la campagne référendaire, serait devenu un épouvantail ultralibéral - alors que le droit de la concurrence est une régulation historique imposée par les gauches européennes contre les lobbies patronaux, les monopoles et les trusts. Sortir de l’économie de marché ne relève pas de la conception du socialisme. Cette confusion aboutit aussi à rejeter tous les traités européens existants. C’est une logique de détricotage de la construction européenne, absolument contraire à notre idéal et notre action de socialistes.

3. L’Europe inefficace De nombreux citoyens ont le sentiment que l’Europe a échoué sur son domaine de compétences – l’économie. Ils ont hélas raison. L’Europe a échoué sur le front de la croissance et de l’emploi. Le marché unique, l’euro, le programme de Lisbonne devaient permettre de retrouver la prospérité. Ils ont permis la stabilité, la sécurité et le développement des échanges, la protection contre les fluctuations monétaires. Mais trop de promesses n’ont pas été tenues.

Depuis le début des années 1980, l’Europe est une des zones du monde où la croissance est la plus faible. Sur la période 1980-2000, le taux de croissance annuel moyen de l’Union à Quinze a été de 2,4%, contre 2,5% pour l’Afrique, 3,4% pour les Etats-Unis, et 9,7% pour la Chine. Seule la Russie fait moins bien, avec une diminution du PIB de 1,9% en moyenne annuelle entre 1993 et 2001. La croissance par tête demeure également insuffisante : au cours de cette même période, elle n’atteint que 70% environ de la croissance du PIB américain par tête.

4. L’Europe sans frontières C’est un fait : les Français ont mal accepté l’élargissement à l’Est, ils l’ont manifesté par leur vote. Il y a dans ce rejet une part importante de repli nationaliste, symbolisé par le « plombier polonais ». Au-delà, c’est une interrogation fondamentale sur le sens même de la construction européenne qui se fait jour. Hier, il y avait la volonté de garantir la paix, d’étendre le marché intérieur, d’installer la démocratie, de réunifier l’Europe divisée par le totalitarisme soviétique. Mais aujourd’hui ? Quel est le projet européen, quelles sont les frontières de l’Europe ? Telle est l’interprétation à donner à la crispation de nombreux sympathisants de gauche face aux nouveaux adhérents et à la Turquie : ils ont le sentiment diffus que l’élargissement, qui est pourtant un devoir historique et une chance, se fait au détriment du projet européen. Il est temps maintenant de mener, sans tabou ni hypocrisie, le débat sur les frontières de l’Europe, et dire qui est et qui n’est pas européen, qui le sera et ne le sera pas. Il s’agit là d’un préalable à la relance de l’Europe politique que nous appelons de nos voeux.

• Ce rejet de l’Europe telle qu’elle se construit trouvait pourtant des réponses dans le traité constitutionnel.

Le paradoxe, c’est que le traité offrait une réponse convaincante aux critiques du « non » de gauche. Il mettait fin à la construction technique de l’Europe et marquait la première étape vers l’Europe politique, avec des institutions démocratiques et une véritable citoyenneté européenne. Il permettait de sortir d’une Europe exclusivement économique pour lancer l’Europe sociale.

Pourtant, nous n’avons pas su convaincre. Nous n’avons pas su convaincre parce qu’une partie des responsables de gauche a légitimé le « non » en niant ces avancées. Lors de la campagne, nous disions : « si vous voulez l’Europe sociale, votez oui ». Mais une partie de la gauche, jusque dans les rangs socialistes, répondait : « si vous voulez l’Europe sociale, votez non ». Nous disions « droits fondamentaux », elle nous répondait « droit de grève des employeurs », « remise en cause de l’IVG », « abandon de la laïcité ». Nous disions " que des avancées et aucun recul », elle nous répondait « renégociation » et « plan B ». Il est clair que ces discordances d’analyse ont pesé. Il y a eu là une source de confusion et de division, gravement préjudiciable à notre parti. Mais nous n’avons pas su entraîner, aussi, à cause de nous-mêmes.

Disons le tout net : les partisans du oui n’ont pas été des avocats suffisamment convaincants du traité. Ils ont minimisé les avancées, en réalité considérables, du traité. La ligne « de petites avancées et aucun recul » n’était guère mobilisatrice face à l’enfer libéral promis par les partisans du non. Un « oui bof » face à un « non de combat ». Ils n’ont pas su imposer leur terrain politique. Les débats ont porté exclusivement sur la partie III du traité, pour ou contre l’Europe libérale.

Nous n’avons pas réussi à les placer sur le véritable enjeu de la Constitution, les innovations des parties I et II, pour ou contre l’Europe politique. Ils ont parfois mené une campagne trop négative, en tentant pour l’essentiel de contrer les arguments du « non » sur la concurrence, la Banque centrale européenne, la destruction des services publics, le « libéralisme gravé dans le marbre »… De la sorte, ils ont rarement pu promouvoir une argumentation positive sur le traité. C’est un avertissement pour l’avenir : la gauche doit toujours incarner les forces du mouvement, pas le camp de l’immobilisme défensif.

Les trois leçons du 29 mai se dessinent nettement.

Première leçon : les Français expriment une profonde insatisfaction face à l’Europe telle qu’elle se construit. Le rejet d’une Europe trop technocratique, trop libérale, trop peu efficace, qui s’élargit trop vite. La défiance face à une Europe qui ne fait plus sens.

Deuxième leçon : les Français croient toujours en l’Europe. C’est une réorientation, et non une destruction, qu’ils demandent.

Troisième leçon : cette réorientation du cours européen devra être puissante et fondamentale. Le rejet du traité constitutionnel l’a montré. Nous ne pouvons plus nous contenter d’une évolution lente et par trop millimétrée. Il faut des actes forts.

2. NOTRE PROJET : CONSTRUIRE L’EUROPE POLITIQUE, LE NOUVEL HORIZON DES SOCIALISTES

Tous les socialistes s’opposent au repli souverainiste. Mais il est temps de poser clairement la question de la finalité de la construction européenne. Quelle Europe voulons-nous ? Au sein du Parti socialiste européen, deux visions s’opposent. La première est celle d’une Europe économique organisée. Cette vision répond en priorité à la critique de l’Europe inefficace. Ceux-là – les socialistes nordiques, britanniques, néerlandais… - veulent une Europe qui marche, qui retrouve le chemin de la croissance, de l’emploi et de la prospérité. Mais c’est une Europe proche de l’Union européenne actuelle, qui reste cantonnée à l’économie et se limite pour l’essentiel à une zone de libre-échange. La seconde vision est celle de l’Europe politique. L’Europe y est perçue comme une nécessité vitale pour les peuples européens, pour exister dans la mondialisation à l’égal des puissances d’aujourd’hui (Etats-Unis) et de demain (Chine, Inde, Brésil). C’est la vision des socialistes portugais, espagnols, italiens, belges… Les socialistes de l’est n’y sont pas opposés. Nous avons la conviction que les socialistes français doivent continuer à défendre cette seconde vision, celle de l’Europe politique. Mais si nous voulons emporter l’adhésion, tant auprès des Français que de nos partenaires européens, nous devons expliquer, étayer, préciser cette Europe politique.

• L’Europe politique est nécessaire parce que les Européens ont un modèle de société en commun. L’Europe politique n’est pas une fin en soi. Elle n’est légitime que si elle est l’expression d’un peuple européen en construction, porteur d’une identité, de valeurs collectives, d’un modèle de société. Ce modèle de société européen existe. Il s’enracine dans l’histoire du continent européen, qui a connu des périodes d’unité impériale (la civilisation grecque, l’empire romain, Charlemagne, Charles Quint, Napoléon) et culturelle (la chrétienté médiévale, la République des Lettres). Il trouve aussi sa source dans la violence des divisions de l’Europe, et notamment dans l’horreur de la Seconde guerre mondiale qui a conduit la civilisation européenne au bord de l’anéantissement : le refus de pareilles déchirures a nourri sa quête inlassable d’unité. Le modèle européen s’est approfondi avec la construction communautaire, qui a permis de nouer, selon la formule célèbre de Robert Schuman, des « solidarités de fait » de plus en plus étroites. Quelle est la substance de ce modèle de société européen ? On peut le définir comme la volonté de bâtir un monde de justice reposant sur l’irréductibilité de la dignité humaine.

Il est constitué de quatre éléments fondateurs :

1. L’inviolabilité des droits de l’homme. Si les droits de l’homme sont communs à de nombreuses sociétés, leur inviolabilité est la marque de l’Europe. Symboliquement, l’Europe est le seul espace où la peine de mort est bannie, et son rétablissement proscrit au plan constitutionnel. En témoignent également la suppression des tribunaux d’exception, l’interdiction de la commercialisation du corps humain, l’extension des libertés publiques.

2. La culture comme moyen d’émancipation. Renvoyant au modèle humaniste de l’honnête homme, la culture est avant tout conçue en Europe comme un instrument de développement de la personne humaine, et non comme le support d’une activité marchande. Les Européens acceptent l’économie de marché mais refusent la société de marché.

3. Un modèle de développement durable, caractérisé par un équilibre particulier entre prospérité économique, justice sociale et protection de l’environnement. L’importance attachée à la justice sociale (« les droits de l’homme pauvre ») est propre à l’Europe : le développement de l’Etat-providence, l’intensité de la redistribution fiscale sont des spécificités européennes. Les prélèvements obligatoires atteignent ainsi en moyenne 42% du PIB en Europe ; ils n’atteignent que 28% aux Etats-Unis et au Japon. L’attention particulière portée à l’écologie est également propre à l’Europe : elle est l’endroit du monde où ces questions revêtent la plus grande importance. Les positions prises sur le protocole de Kyoto en sont le témoignage.

4. Une vision de l’ordre international fondée sur le multilatéralisme. Le modèle européen défend la dignité de tous les êtres humains, et non celle des seuls Européens. C’est à travers la promotion du multilatéralisme que l’Europe propose sur la scène internationale le modèle de justice qu’elle a développé en son sein. La vision de l’ordre international qui en est le reflet se caractérise par le refus des rapports de puissance au profit du droit, la priorité accordée au règlement pacifique des différends par la négociation et l’arbitrage, enfin par la solidarité avec les pays pauvres. Une Europe politique pour porter le modèle européen est donc légitime. Mais faute d’incarnation politique par l’Union européenne, le modèle européen est mal défendu, alors qu’il fait face par ailleurs à des concurrents puissants. Aujourd’hui, un modèle néo-libéral américain à vocation universelle, en faveur duquel la droite est tentée de solder notre modèle social. Et demain, le modèle national-étatiste chinois. Pour pouvoir s’imposer dans la mondialisation, le modèle européen doit s’incarner dans une Europe politique, une Europe puissance.

• Un préalable à l’Europe politique : faire fonctionner l’Europe économique L’échec de l’Europe d’aujourd’hui paralyse toute avancée vers l’Europe de demain. Nous reconnaissons ce préalable à l’Europe politique : faire fonctionner ce qui existe, réussir l’Europe économique. L’échec de l’Europe économique a une explication simple : il s’agit d’une construction inachevée. Nous sommes au milieu du gué et nous prenons l’eau. Il faut se décider à le franchir. Pour avancer, trois réformes sont nécessaires.

1. Créer le gouvernement économique européen. Pourquoi n’y a-t-il pas de relance budgétaire européenne lorsque la zone euro plonge dans la récession ? Pourquoi n’y a-t-il pas de politique de change lorsque le dollar s’effondre et mine notre compétitivité internationale ? C’est parce qu’il n’y a pas de politique économique européenne : la zone euro fonctionne en pilote automatique, encadrée par les règles du pacte de stabilité. Il faut mettre un pilote dans l’avion. Les solutions sont connues. Institutionnaliser l’Eurogroupe – la réunion des ministres des finances de la zone euro. Lui donner les pleines compétences juridiques pour arrêter la politique économique de la zone euro. Et y élire un président stable, qui sera le ministre des finances de l’Europe.

2. Réviser les statuts de la Banque centrale européenne (BCE). Du fait de son attention trop exclusive à la stabilité des prix, la politique monétaire de la BCE est un frein à la croissance. La révision des statuts de la BCE serait un signe politique fort. Il ne s’agit pas de revenir sur l’indépendance de la banque centrale, systématique dans toutes les grandes démocraties. Ce qu’il faut, c’est un simple alignement sur les statuts qui existent dans les autres pays occidentaux, Banque d’Angleterre et Réserve fédérale américaine notamment, et qui ont fait la preuve de leur efficacité, en y inscrivant la prise en compte de l’objectif de croissance et d’emploi.

3. Donner à l’Europe la capacité d’investir dans l’avenir. L’économie européenne souffre d’un mal bien identifié : elle n’a pas franchi la frontière technologique qui la sépare de l’économie de la connaissance. Les solutions sont là aussi connues, elles ont été établies lors du sommet de Lisbonne en 2000 : un investissement massif dans les dépenses d’avenir - la recherche, l’innovation, l’enseignement supérieur, les investissements d’infrastructures. Mais l’Union n’a pas les instruments budgétaires et législatifs pour agir. Il faut les lui donner. Cela passe par la réorientation du budget européen vers ces dépenses d’avenir : à terme, la recherche doit devenir le premier budget de l’Union.

• L’Europe politique est notre horizon pour l’Europe de demain L’Europe politique passe par trois avancées majeures : les institutions, la citoyenneté, les compétences.

1. Créer des institutions démocratiques Tel était l’objet principal du traité constitutionnel. Notre objectif reste inchangé : combler le « déficit démocratique ». A cet égard, nous défendons la création d’un véritable régime parlementaire, avec un gouvernement responsable devant les citoyens européens :

- Un Parlement européen exerçant les pleins pouvoirs législatifs et budgétaires. Il représente les citoyens européens. Il doit être un Parlement de plein exercice : généralisation de son rôle de co-législateur (avec le Conseil), droit d’initiative, pleine responsabilité sur les dépenses comme sur les recettes, dernier mot en matière budgétaire.

- Un Conseil des ministres comme seconde chambre législative, représentant les États. Cela nécessite de mettre fin à son rôle ambigu actuel, mi-législatif mi-exécutif. Cela nécessite aussi de lui conférer la pleine capacité décisionnelle. L’objectif est d’obtenir la généralisation du vote à la majorité et de faire descendre le seuil de la majorité aussi proche que possible de la majorité simple, soit 50%.

- Une Commission qui devient le véritable gouvernement politique de l’Union. C’est la clé de la réforme institutionnelle. La Commission est l’exécutif de l’Europe, mais c’est un exécutif non démocratique. Elle doit le devenir. Le Président de la Commission doit se muer en Premier ministre de l’Europe, élu par le Parlement et issu de la majorité politique sortie des urnes.

- Au sommet de l’édifice, le Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat européens, avec à sa tête un Président de l’Europe. Un peu comme le Président français, il est, avec le ministre des affaires étrangères de l’Union, la voix de l’Europe sur la scène internationale. Au-delà des institutions, il est nécessaire de faire vivre la démocratie européenne. Ces institutions doivent s’insérer dans un espace démocratique, qui anime la vie publique européenne.

C’est pourquoi nous proposons de :

- Placer le choix du Président de la Commission au coeur des élections européennes. Aujourd’hui, ce sont les chefs d’État qui le nomment. Cela vide ces élections de l’essentiel de leur enjeu politique : dégager une majorité de gouvernement. La désignation préalable par les partis de leur candidat à la présidence de la Commission accroîtrait l’intérêt suscité par ces élections.

- Choisir les Commissaires parmi les députés européens. C’est le cas dans les démocraties parlementaires : les ministres sont en règle générale issus du Parlement. Cela renforcerait considérablement le caractère parlementaire de la démocratie européenne.

- Réserver une fraction des sièges du Parlement européen (par exemple 20 %) à des parlementaires élus sur des listes pan-européennes. Le système électoral actuel est insatisfaisant car les élections se font sur la base de listes nationales ou régionales. Créer des listes pan-européennes aurait l’avantage de stimuler le débat européen en déconnectant l’élection de la scène nationale.

- Donner un réel contenu au principe de subsidiarité pour ce qui est de la place des collectivités territoriales dans la construction européenne. Les collectivités territoriales (communes, départements et régions) et à travers elles, leurs citoyens, doivent être reconnus comme véritables interlocuteurs de l’Union européenne dans la conception et mise en oeuvre des politiques communautaires qui les concernent.

2. Développer la citoyenneté européenne L’Europe politique passe par la création du sentiment d’appartenance européen. De nombreuses pistes peuvent être explorées pour développer cette citoyenneté européenne, pour passer de la construction européenne à la conscience européenne :

- La mobilité. Le brassage est le meilleur garant de ce sentiment d’appartenance. Le programme Erasmus permet la mobilité d’un million d’étudiants par an. C’est un immense succès. L’objectif doit être sa généralisation aux trente millions d’étudiants européens. Nous proposons d’introduire dans les cursus universitaires l’obligation d’accomplir au moins une année d’étude dans l’Union hors du pays d’origine.

- L’éducation. L’éducation sur l’Europe est totalement défaillante. C’est vrai de l’éducation civique : les Français ne connaissent pas les institutions européennes – mais qui les leur a appris ? Nous proposons de compléter l’éducation civique nationale dispensée à l’école par une sensibilisation aux valeurs européennes et la présentation des institutions de l’Union. C’est vrai aussi pour l’histoire : les Européens ont en commun un riche legs historique, mais ils ne le savent pas assez. Nous proposons de créer un enseignement de l’histoire européenne dans les écoles, sur la base d’un programme et d’un livre d’histoire communs pour toute l’Europe.

- La culture. La culture jouera un rôle déterminant dans le développement du sentiment d’appartenance en Europe. Or la culture européenne est en danger. L’Europe peine en effet à préserver sa diversité culturelle face à l’omniprésence des produits culturels américains. L’Union ne consacre que 0.1% de son budget à la politique culturelle. Nous proposons d’accroître massivement l’effort budgétaire consacré par l’Union à la culture, en priorité sous forme de soutiens financiers à la production d’oeuvres européennes.

-  L’information. On ne parle pas suffisamment d’Europe aux Européens. Pour y remédier, il y a d’une part les médias. Il est vrai que les médias nationaux commencent enfin à parler d’Europe. L’engouement des Français pour le débat référendaire leur a démontré que les Français s’intéressaient aux débats politiques européens. Mais la création d’un grand média audiovisuel public à vocation européenne, sur le modèle d’Arte, serait utile.

Il y a d’autre part le débat public. Ce débat a existé lors du référendum français mais il se referme déjà. Il faut le rendre pérenne. Le gouvernement irlandais, après l’échec de son référendum sur le traité de Nice, a créé un « Forum de débat sur l’Europe ». Son objectif est de faire de la pédagogie sur l’Europe, pour éviter les fantasmes et les incompréhensions. Nous proposons de créer un tel forum permanent en France. Il y a enfin la communication publique. On connaît la tentation de certains politiques d’expliquer que tout ce qui se fait de bien vient d’eux, tout ce qui est mal est de la faute de l’Europe. La communication publique pourrait contrecarrer cette tendance par des initiatives simples. Exemple : promouvoir les réalisations de l’Europe à travers des grands panneaux du type de ceux que l’on trouve en Irlande « cette route a été construite par l’Europe ».

3. Doter l’Europe de compétences politiques et sociales L’Europe politique passe enfin par des compétences élargies. Aujourd’hui, cantonnée à l’économie, l’Europe n’est pas capable d’incarner son modèle. C’est pourquoi il faut remettre à plat les politiques existantes, y compris l’agriculture, et doter l’Europe des compétences nécessaires à l’incarnation de son modèle : compétences sociales, environnementales, culturelles, diplomatiques, de défense. Mais la construction européenne, des origines à nos jours, s’est faite aussi dans une logique de protection : protection contre la guerre, protection contre le totalitarisme. Le message du 29 mai, et sur un continent à 20 millions de chômeurs, est aussi une demande de protection sociale. C’est cette demande qu’il faut entendre, c’est une étape supplémentaire qu’il faut construire, c’est une nouvelle page de l’histoire européenne qu’il faut écrire, celle de l’Europe sociale.

D’ores et déjà, nous faisons trois propositions en ce sens :

- Introduire un revenu minimum européen. Un revenu minimum traduirait les droits économiques du citoyen européen – le droit à un niveau de vie minimum. Il illustrerait la solidarité entre tous les citoyens européens. Ce revenu minimum ne doit pas être unique dans l’immédiat pour toute l’Europe. Son niveau serait fixé dans chaque pays selon une méthode de calcul commune, permettant un ajustement national destiné à refléter les différences de pouvoir d’achat entre les Etats membres.

- Créer un fonds européen de soutien aux salariés victimes des restructurations. Les délocalisations, pour l’essentiel vers la Chine et l’Inde, sont un phénomène qui concerne toute l’Europe. Ses conséquences sont souvent dramatiques : lorsqu’une grande entreprise se retire d’un bassin d’emploi, il arrive qu’elle laisse derrière elle une région sinistrée, marquée par le basculement des salariés dans un chômage de longue durée et par leur déqualification progressive. Si beaucoup de dispositifs aident les régions en reconversion, il n’existe pas d’aide concernant directement les salariés. La création d’un fonds européen de soutien aux restructurations permettrait de financer des actions en ce sens, que ces délocalisations soient extérieures à l’Europe ou intra-européennes.

- Faire de la sécurité sociale professionnelle le premier droit social européen. Les partis de gauche, les syndicats réfléchissent activement à ce concept. Le problème est connu : désormais, les salariés ne feront plus de carrière linéaire dans une seule entreprise ; ils changeront plusieurs fois d’entreprises et de métiers. La gestion des transitions d’un métier à un autre devient donc la clé de la sécurisation des parcours professionnels. La sécurité sociale professionnelle concerne tous les Européens. C’est pourquoi nous proposons de créer ce nouveau droit social au niveau européen.

Une autre clé sera l’accroissement massif du budget européen, dont l’insignifiance empêche toute action financière sérieuse. La politique de Jacques Chirac visant à limiter le budget européen à 1 % du PIB est le plus sûr garant d’une Europe impuissante. Nous nous fixons comme objectif de moyen terme de doubler le budget européen, à 2 % du PIB. Utopique ? A titre de comparaison, le budget fédéral des Etats-Unis se situe à environ 20 % du PIB américain, le budget fédéral de l’Allemagne à près de 13 % du PIB allemand. Nous sommes donc encore très loin d’un budget fédéral !

Comment financer cet accroissement budgétaire ? L’Union doit désormais se doter, au-delà des quatre ressources propres actuelles, d’une cinquième ressource budgétaire de type fédéral, d’un impôt européen qui pourrait être une taxe additionnelle à l’impôt sur les sociétés.

3. NOTRE METHODE POUR RELANCER LA CONSTRUCTION EUROPEENNE : DEMOCRATIE ET ACTION COLLECTIVE.

Il ne suffit pas de définir un projet pour l’Europe. Il faut aussi expliquer comment on le réalise. L’échec du traité constitutionnel nous rappelle combien la voie vers l’Europe politique est étroite. La construction européenne doit être démocratique et collective.

Il n’est plus possible de faire l’Europe sans les peuples. C’était acceptable au début de la construction européenne, lorsqu’il s’agissait de mettre en commun des compétences techniques comme les droits de douanes. Cela ne l’est plus lorsque l’on passe à l’Europe politique. Comment envisager de se lancer dans une aventure fédérale sans en référer aux peuples ? Les négociations diplomatiques sont par ailleurs inappropriées pour construire l’Europe politique. On l’a bien vu avec l’échec des dernières conférences intergouvernementales, à Amsterdam et Nice. Seules des assemblées porteuses de cet esprit européen, du type de la Convention, peuvent porter l’intérêt européen. Nous estimons donc que la construction européenne doit être démocratique. Nous proposons :

1. Un débat démocratique à travers le Forum européen. Il s’agit de reprendre la pédagogie sur l’Europe, recueillir l’avis des Français et tenter de faire émerger un consensus sur l’avenir de l’Europe. Ce débat se tiendrait dans le cadre du forum permanent évoqué plus haut.

2. Une négociation dans le cadre d’une nouvelle Convention. La Convention a été un réel succès. Nous proposons de la reprendre et de lui donner une plus forte légitimité. Elle pourrait être précédée par un grand débat démocratique, sous forme d’Assises européennes et initiée par un congrès du Parlement européen et des parlements nationaux.

Cette démarche doit être pragmatique : la méthode globale, consistant à tout concentrer dans un seul texte favorise le cumul des oppositions. Pour éviter ce piège, nous proposons une méthode avançant pas à pas, enjeu par enjeu. Ainsi, il faudrait procéder en dissociant les étapes : un texte portant uniquement sur les institutions (pour la démocratie européenne), un traité social (pour l’Europe sociale), un texte sur la défense (pour une armée européenne)…

3. Une ratification démocratique européenne. Les projets établis par la Convention doivent faire l’objet d’une validation par les citoyens. Nous proposons que les ratifications aient lieu le même jour dans toute l’Europe. Une telle unité temporelle accroîtrait l’enjeu européen de la ratification et limiterait son caractère de plébiscite national. Nous ne ferons pas l’Europe tout seuls. Ceux qui pensent que la France, mieux, les socialistes français, écriront seuls la Constitution de l’Europe, et que le peuple européen décillé se ralliera aux Lumières françaises – ceux-là nourrissent des illusions qu’ils trahissent aussitôt et garantissent l’échec de la construction européenne. La construction européenne est par essence un compromis. Compromis entre les Etats.

Mais aussi compromis entre les familles politiques. Nous ne ferons pas l’Europe politique si tout le peuple européen n’en veut pas. Nous pouvons et devons proposer nos idées, celles du socialisme démocratique, affirmer notre engagement européen, imposer un rapport de force, nous devons aussi trouver un accord général.

C’est pourquoi nous proposons une action en deux étapes. Une première étape avec l’achèvement de l’Europe économique. Cette étape est susceptible de faire consensus au sein du Conseil européen ; elle pourrait être initiée rapidement, dès 2007. Une seconde étape avec la préparation de l’Europe politique. Nous proposons de réfléchir, au sein du Parti socialiste européen, avec ceux qui défendent une perspective politique. Le projet qui en sortira servira de base pour notre action future, vraisemblablement dans le cadre d’une coopération renforcée. Ces étapes successives devront intégrer au coeur de leurs préoccupations la nécessité de construire une Europe sociale.

Nous ne nous résignons pas. L’échec du traité constitutionnel nous fait certes perdre de précieuses années, car le monde ne nous attend pas. Mais il a au moins permis une prise de conscience citoyenne. Nous souhaitons que le Congrès du Mans l’exprime avec force et prenne position sur l’avenir de l’Europe avec volonté et vérité. C’est à partir de cette prise de conscience que nous voulons relancer la construction européenne. Nous y travaillerons avec tous ceux qui, en France et en Europe, partagent notre idéal.


Pierre Moscovici, Vice-Président du Parlement européen, Bernard Poignant, Président de la délégation socialiste française au Parlement européen, Kader Arif, Député européen, Alain Bergounioux, Secrétaire national aux études, Jean-Louis Bianco, Député des Alpes de Haute-Provence, Bernadette Bourzai, Députée européenne, Marie-Arlette Carlotti, Députée européenne, Harlem Désir, Vice-Président du groupe PSE au Parlement européen, Brigitte Douay, Député européen, Olivier Ferrand, Délégué national aux questions européennes, Jean-Claude Fruteau, Député européen, Dominique Gros, Président du groupe socialiste, Conseil général de la Moselle, Paulette Guinchard-Kunstler, Députée du Doubs, Catherine Guy-Quint, Députée européenne, Adeline Hazan, Députée européenne, Claude Jeannerot, Président du Conseil général du Doubs, Stéphane Le Foll, Député européen, Louis Le Pensec, Sénateur du Finistère, Romain Levy, Secrétaire fédéral aux relations internationales, Paris, Robert Navarro, Député européen, Safia Otokoré, Conseil régional de Bourgogne, François Patriat, Président du Conseil régional de Bourgogne, Etienne Pourcher, Président du groupe au Conseil général des Vosges, Pierre Pribetich, Adjoint au maire de Dijon, Alain Richard, Vice-Président du PSE, Pierre Schapira, Député européen, Marisol Touraine, Secrétaire nationale, Catherine Trautmann, Député européenne, Yannick Vaugrenard, Député européen, Christine Verger, Bernadette Vergnaud, Députée européenne.