Accueil du site - 20. DSK 2007 - En CAMPAGNE - Discours
 

« Donner à la France un souffle nouveau »

Dominique Strauss-Kahn
Publié le samedi 26 août 2006.


Mes camarades,

Je constate que vous êtes nombreux ce soir, et vous avez raison : cela ne fait que commencer. L’année dernière, nous étions dans une salle deux fois plus petite. Cette année, c’est celle-ci et je ne crois pas qu’il en existe de plus grande à La Rochelle. Il faudra peut-être prendre l’Encan l’année prochaine. Mais qui pourra dire ce qui se passera à La Rochelle, l’année prochaine ? Je suis content de vous trouver si nombreux car j’ai constaté – et peut-être avez-vous partagé ce sentiment avec moi – que les socialistes étaient en ce moment dans une période de doute, une période de questionnement, une période d’interrogation. Il faut dire que la presse et les journalistes nous interrogent continuellement, et non pas sur des questions de fond mais sur des questions de personnes. Je ne veux pas, aujourd’hui, rentrer dans ces questions de personnes si ce n’est pour vous saluer tous. Et comme je ne peux individuellement saluer tous les élus, tous les militants présents, je vous fais simplement un salut collectif.

Une période de doute, certes. Mais de cette période de doute émerge une seule certitude, pour tous les socialistes, pour tous les hommes et les femmes de gauche, celle que 2007 sera une année absolument décisive. L’élection présidentielle que nous avons devant nous est pour notre pays une des plus importantes, sans doute même la plus importante depuis 1981. En 1988, c’était le rejet de Jacques Chirac ; en 1995, c’était la fin du mitterrandisme ; en 2002, c’était le non à Le Pen. Chaque fois, le débat a été escamoté. A chaque fois, le débat sur l’avenir de la société et sur la direction que devait emprunter la France n’a pas eu lieu. Cette fois, il ne faut pas y aller avec des positions idéologiques éculées, avec des modes de raisonnement dépassés. J’ai longuement parcouru la France au cours de ces deux dernières années. J’y ai vu la souffrance de beaucoup, le doute, la précarité. J’ai vu des Français inquiets, des Français qui comprenaient bien que la mondialisation devait entraîner du changement mais qui étaient inquiets de ce que les hommes politiques n’aient pas préparé ce changement. Dans le même temps, j’ai vu la formidable énergie créatrice de notre peuple. On la rencontre tous les jours : ce sont, par exemple, les enseignants, au sein de nos écoles, souvent critiqués, mais qui assurent la transmission du savoir, et ce faisant, la préparation de l’avenir ; ce sont aussi les médecins, les infirmières, les aides soignantes qui répètent quotidiennement, là aussi, ces gestes qui préservent la vie. Ce sont encore, dans les entreprises, les syndicalistes qui essayent de faire vivre la démocratie sociale et les chefs d’entreprises, pas tous certes, mais la grande majorité d’entre eux, qui ont finalement pour préoccupation soit de préserver l’emploi, soit d’arriver à en créer. Ce sont encore, dans les quartiers, toutes les associations qui font vivre la fraternité. Cette énergie, ce sont tous ceux qui font que notre pays, finalement, a envie de bouger, tous ceux qui font sa force. Aussi faut-il que nous soyons capables de faire reculer le doute. Car tel est le but ultime de la politique, celui de prendre la force de notre pays pour essayer de faire en sorte que l’angoisse et le doute y soient repoussés plus loin.

Pour cela, il faut que l’on change la politique qui, depuis des années, débouche sur les mêmes débats, les mêmes postures, les mêmes promesses – pas toujours tenues. L’élection présidentielle que nous avons devant nous ne peut donc se résoudre à être, comme l’ont été certaines autres, un simple conflit entre deux camps, celui qui veut qui veut garder le pouvoir et l’autre qui veut le conquérir. Cette élection présidentielle doit être l’occasion d’un choix, et d’un choix sur le fond. La France, notre pays, mérite mieux que les analyses datées, faites avec des outils d’hier qui reviennent trop souvent dans les débats d’aujourd’hui. La France mérite mieux que cette prétention à l’innovation dont je disais dans un livre que j’ai publié il y a quelque mois, qu’avance Nicolas Sarkozy et qui n’est en fait qu’un renoncement à ce qu’est la France aujourd’hui. Il nous dit que le modèle français est tellement inadapté à la mondialisation qu’il faut le changer ou plutôt, y renoncer ou importer un modèle étranger, calqué sur le modèle américain. La France mérite mieux que cela, comme elle mérite mieux que la somme des ambiguïtés, accumulées années après années, qui ont tissé les deux présidences de Jacques Chirac. Je vous le dis d’un mot : pour moi, la France mérite maintenant la clarté et la vérité. Pour cela, il faut changer. Il faut changer nos analyses pour regarder vers l’avenir et redonner du sens au progrès. Il faut changer nos méthodes, dire la vérité, remettre au goût du jour la responsabilité, restaurer la démocratie. Il faut changer nos solutions, avec de vraies réformes et non l’immobilisme bavard que nous constatons tous les jours. Il faut aussi changer à gauche car si on ne transforme pas la gauche, on ne pourra alors pas réussir à transformer la France. Enfin, il faut que ce changement soit à l’origine de la dynamique du rassemblement. La gauche doit se rassembler : tout le monde est d’accord sur ce point et nous n’avons jamais réussi à gagner les élections autrement. Mais il faut que le rassemblement se fonde sur cette dynamique de changement. Il ne peut être simplement un remake de la gauche plurielle en plus petit. Il faut qu’il se fasse autour d’un accord sur le fond. La construction d’un accord avec nos partenaires et le rassemblement de toutes les forces de gauche doivent se faire sur un projet. Ce soir, je voudrais décliner devant vous le projet qui est le mien en deux ou trois points.

Le premier point est qu’il faut vivre. Depuis que les sociétés humaines existent, la vie repose sur la consommation d’énergie. Le feu d’aujourd’hui n’est pas très différent du feu originel. Il n’y a qu’à voir la façon dont nous consommons l’énergie pour observer combien elle structure notre société : quand les Français, en vacances, voient le prix de l’essence à la pompe, ils s’en rendent compte ; quand, au cœur de l’été, les agriculteurs manifestent à cause du prix du gazole, ils s’en rendent compte. Il y aurait mille indices de même nature. La tension qui existe aujourd’hui sur l’énergie qui fait vivre nos sociétés est un des grands problèmes du début XXIe siècle.

La question pour nous, la question pour la France – et pas seulement pour la France – est de préparer l’après-pétrole. L’après-pétrole que nous devons préparer, d’abord parce que les ressources s’épuisent avec, pour conséquence première, la hausse de prix. Nous devons le préparer aussi parce que la dépendance pétrolière crée, depuis des décennies, une géopolitique instable. Nous ne pouvons pas concevoir de continuer comme cela, dans une alternance entre le terrorisme, d’un côté, et la répression d’Etat, de l’autre, parce que les pays du Golfe et ceux du Moyen-Orient auraient intérêt à entretenir cette instabilité. Enfin, nous devons préparer l’après-pétrole car, comme les écologistes nous l’ont appris – et c’est un formidable progrès – la combustion de ces énergies fossiles détruit la planète. L’environnement est une donnée qui, pour les socialistes aujourd’hui, est aussi élémentaire, aussi évidemment inscrite dans leur projet que la lutte pour l’égalité sociale ou la lutte pour la liberté. C’est pourquoi j’enrage de voir qu’aujourd’hui notre pays ne se prépare pas. Où sont les efforts d’économie d’énergie, avec tout cela signifierait pour l’urbanisme, les transports et l’industrie ? Où sont les efforts de recherche sur les énergies renouvelables ? Où en est le débat sur le nucléaire ? Nous sommes un pays qui a su développer la maîtrise de l’énergie nucléaire. Cette énergie nucléaire est plus contestée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a vingt ans. Aussi est-il nécessaire d’organiser un débat sur ce sujet. Il n’y a rien qui doive rester secret dans ce domaine. Sur aucun de ces trois de ces domaines, nous n’avançons vraiment. Pourtant, cette question qui contraint la croissance de la France, qui doit réorganiser sa société, vaut pour nous autant que pour les autres. Je pense ici à l’Europe de l’énergie, condition nécessaire pour que nous puissions discuter avec les autres pays, notamment avec les pays du Maghreb et la Russie pour sécuriser nos approvisionnements. Or l’Europe a de l’avance en matière énergétique. La société américaine, qui est encore plus consommatrice que nous, va bien devoir, d’une manière ou d’une autre, revenir vers les voies européennes. Il y a là un domaine où l’Europe peut être un modèle ou redevenir un modèle. Quand on parle de « rêve européen », cela souligne combien, de l’autre côté de l’Atlantique, on se rend compte que sur des sujets aussi majeurs que celui-là l’Europe peut être un modèle. L’indépendance économique et donc l’indépendance politique qui en dépend reposent sur une nouvelle conception de ce que nous faisons en matière d’énergie. C’est le rôle du Président de la République ; c’est un des rôles du Président de la République que d’être capable de tracer la voie pour notre pays.

Il faut vivre, mais il faut aussi survivre. Nous tous, parce que nous sommes des élus, des militants, vous comme moi, avons beaucoup vu les souffrances de ceux qui ont du mal à survivre. Lors de mes déplacements sur le terrain – à Sarcelles, bien sûr, la circonscription dont je suis l’élu, au Mirail à Toulouse, à Albi, dans des visites de quartiers, ou bien dans des bassins d’emploi, chez Sediver, dans l’Allier, aux Papeteries de Cran en Haute-Savoie, chez ABB en Seine-et-Marne, chez Stora Enzo dans le Pas-de-Calais – chaque fois, j’ai vu des salariés dont les entreprises fermaient ou se délocalisaient, qui restaient sans voix et sans ressource. Bien entendu, face à ces situations, la gauche doit être présente. Elle l’a été. Elle le sera encore.

Mais au-delà, chacun se rend compte que le problème est plus vaste et que la solution ne peut résider uniquement dans la revendication. Il faut, pour survivre, que nous nous posions la question de la création de richesse : comment faire en sorte que notre pays reste un pays dans lequel nous soyons capables d’assurer pour nous, pour nos enfants, pour nos petits-enfants, le pouvoir d’achat, l’emploi, c’est à dire finalement comment continuer à créer des richesses ? Bien entendu, la question de la répartition des richesses créées doit se poser en même temps. Mais il n’y a pas d’inégalités qu’on puisse combattre si l’égalité de tous c’est l’égalité à zéro, et la pauvreté pour tous. La création de richesse doit être au centre de nos réflexions. La création, mais aussi la crainte de la destruction des richesses. Arcelor : un siècle et demi pour construire une sidérurgie, française d’abord, européenne ensuite. Quel moyen nous donnons-nous pour que demain il n’y ait pas 2, 3, 10 Arcelor, avec les conséquences que cela a, d’abord en terme d’emploi, et, au bout du compte, en terme d’indépendance ? Nous voyons bien que la poursuite du chemin sur lequel nous sommes engagés ne donne pas de solution. Ce chemin conduit à l’échec. Nous voyons bien qu’il faut revoir notre modèle de croissance : qui va faire cela ? C’est un rôle pour le Président de la République. C’est lui qui doit donner l’orientation vers ce modèle nouveau. Car ce modèle, aujourd’hui, quelles en sont les grandes lignes ? Le chemin que nous avons suivi depuis un siècle, un siècle et demi même, est un chemin construit sur le charbon, puis le pétrole, et sur l’industrie mécanique. C’est cela qui a été au cœur de la construction des pays industrialisés. Big Oil, Big Three disent les Américains en pensant aux trois constructeurs automobiles. Ce modèle est largement derrière nous. Celui qui commence à se dessiner, est un modèle dans lequel cette industrie mécanique sera remplacée par les industries de la vie, les industries de la santé. Aujourd’hui en France, 40% des gens qui exercent une activité travaillent dans les services à la personne. Et ce pourcentage ne fera qu’augmenter. Cette mutation est un changement comme on n’en a pas connu depuis le début du capitalisme, depuis deux siècles. Cette mutation fondamentale fait que ce qui était, avec un jeu de mot qu’on a tous fait cent fois, « le moteur de l’économie », c’est à dire l’automobile, ne sera plus ce moteur demain. Cette mutation-là, nous devons l’organiser. C’est le rôle du Président de la République de mener notre pays vers la stratégie d’une économie de la connaissance, d’une économie qui garantisse demain l’emploi et le pouvoir d’achat. Seulement, cela veut dire autre chose que la politique conduite aujourd’hui. Cela signifie qu’il faut mettre l’accent sur l’éducation et notamment sur l’université. L’université, qui aujourd’hui se meurt, comme le montrent tous les classements internationaux. Moi, plus qu’un autre puisque je suis un universitaire, je ne peux pas accepter cela. Je ne peux pas tolérer de voir, classement après classement, la première des universités françaises apparaître au 50e rang mondial. Et non pas parce que ce seraient des Américains, des Japonais ou que sais-je encore qui occuperaient la première place : on trouve des Italiens, des Allemands, des Anglais, dans les 10 premiers rangs – mais plus de Français. Parce que l’université française a aujourd’hui été abandonnée. Elle a été transformée en une sorte de machine administrative, où il n’y a plus ni autonomie ni compétition, pourtant nécessaires à la science. Le même constat est valable pour la recherche.

On voit bien l’effort qu’il faut conduire pour que notre pays rentre dans l’économie de la connaissance qui est la seule garantie pour que demain nous soyons toujours une grande puissance économique. Ce changement de notre modèle a mille conséquences : des conséquences sur l’alimentation, des conséquences sur le vieillissement, bien d’autres sujets encore. Vous me direz : « l’alimentation, le vieillissement, est-ce que ce sont des sujets pour le Président de la République » ? Oui, ce sont des sujets pour le Président de la République parce que l’alimentation, c’est à la base de la santé de la population. Mais au delà, cette santé repose sur des stratégies agricoles et alimentaires, et donc sur la refonte de la Politique Agricole Commune. Tout se tient, du panier de la ménagère à ce que l’on fait à Bruxelles sur la politique agricole. Ceci est vrai aussi pour le vieillissement. Nous le voyons tous dans notre vie : chacun a auprès de lui une personne âgée ou très âgée. Le vieillissement de la population, nous le voyons tous les jours. Les conséquences, on les connaît, on les devine, aussi bien sur les finances de l’Etat que sur celle de la sécurité sociale. Mais il y en a bien d’autres, notamment sur la signification même et la place dans la société des différents âges de la vie. Demain, plus encore qu’aujourd’hui. Or demain est très proche : jamais une rupture aussi brutale n’a bouleversé la société humaine. En quelques dizaines d’années, 20 ans, 30 ans, l’équilibre complet de notre société en terme démographique va changer. On me dit : « quelle solution apporter à cela ? On vit plus vieux et c’est tant mieux ». Oui bien sûr, mais il faut aussi que notre population, d’une manière ou d’une autre, puisse se renouveler. Il faut, bien sûr, encourager la natalité. Mais on sait que lorsque les Français sont inquiets, ils ne font pas beaucoup d’enfants. Alors quelle est la voie ? Il faut la regarder en face car il s’agit un choix stratégique et politique pour nous tous. Je dis qu’il n’y a pas dans notre pays de façon de retrouver la croissance démographique dont nous avons besoin sans organiser une immigration positive. Nous n’avons pas trop de chômage parce que nous aurions trop de bras, nous avons trop peu de croissance économique parce que nous avons trop peu de croissance démographique ! Et ce changement-là, dans notre pays, qui peut le conduire ? Qui peut amener les Français à repousser les tendances nationalistes et xénophobes qui toujours sont présentes quand la crainte de l’avenir est là ? Qui d’autre que le Président de la République ? Voilà encore une tâche pour le Président.

Il faut vivre, il faut survivre et puis, quand même, il faut vivre ensemble. Vivre ensemble, c’est vivre notamment avec nos voisins européens. La question européenne est présente dans tous les sujets que j’ai abordés, de l’énergie au changement de notre modèle de production, en passant par les problèmes des âges de la vie : toutes ces questions concernent l’ensemble des Européens. Mais il y a un sujet qui les concerne tout particulièrement, c’est celui de la paix.

En Europe, nos pays se sont battus pendant des siècles et puis ont réussi à renoncer à la force pour débattre autour d’un tapis vert. Des conflits, il en existe toujours, mais nous avons réussi, en Europe, à domestiquer la guerre. Ce modèle-là, il faut que nous soyons capables de le porter vers le reste du monde. L’actualité ne nous en donne pas une bonne illustration. Quand on voit la façon dont le Président de la République a traité la question du Liban, on se demande : « où est passé l’exemple de l’Europe » ? L’intervention française au Liban est une nécessité. Mais c’est un problème grave, un problème qu’il faut considérer dans la durée, notamment dans la durée de notre engagement. Un problème que l’on ne peut pas traiter avec des accents cocardiers. Or, de tergiversations en chassés-croisés, la France s’est aujourd’hui plus exposée qu’elle ne s’est imposée. Et tout cela, pourquoi ? Parce que l’on a voulu, les premiers, proposer une solution nationale, avant les autres, plutôt que d’inviter nos partenaires européens à proposer une solution européenne, ce qui aurait montré comment l’Europe peut fournir au monde ce qu’est un modèle de construction de la paix. L’Europe est aussi nécessaire pour mener une politique vis-à-vis du Sud. Nous avons là une responsabilité particulière. Pas sur l’ensemble de la planète, mais à tous le moins dans les pays – principalement ceux du continent africain – où nous avons eu un passé colonial et où le départ des Français à certains endroits, des Anglais à d’autres, ou encore des Belges a laissé derrière lui un désastre économique et démocratique. Nous avons une responsabilité. Mais nous savons aussi que l’on ne peut s’en exonérer seulement en versant de l’argent – et encore, nous en versons moins que ce à quoi nous nous étions engagés. On ne peut l’endosser qu’en s’impliquant dans le développement, en favorisant ce développement, au travers de l’éducation, de la santé. Nous touchons là une des questions où l’Europe doit être présente et à propos de laquelle le commissaire européen chargé du commerce avait fait avancer les choses, à Doha, en permettant à des médicament génériques – en particulier contre le sida – d’être fabriqués puis vendus aux pays africains à des prix accessibles pour ces populations. Ce chemin avait été ouvert par l’Europe, et admis par les autres. Et nous constatons quelques années plus tard que, finalement, il ne se passe rien. C’est donc à l’Europe d’intervenir à nouveau, elle seule peut faire bouger les choses. Il faut mettre un terme à ces tergiversations sans fin, à ces discussions infinies sur la propriété intellectuelle qui font, qu’au bout du compte, les hommes, les femmes et les enfants continuent de mourir, au Nigeria comme dans le reste de l’Afrique. C’est encore au Président de la République d’assumer cela car, pour avoir l’Europe avec soi, encore faudrait-il que, dans ces domaines, l’Europe existe. Or force est de constater que l’Europe ne s’est pas encore totalement imposée. C’est le président de la République qui doit faire avancer cela, et particulièrement le Président de la République française. Pas tout seul, non ! Pas tout seul, mais particulièrement le Président de la République française. Car l’Europe n’avance pas quand le Président de la République française n’est pas là pour la faire avancer. Mais il lui faut des partenaires, souvent les Allemands, parfois d’autres. Et quand la France n’est pas là, c’est-à-dire quand le Président de la République française est incapable, autour de la table, d’imposer des vues qui font avancer l’Europe, alors l’Europe n’avance plus.

C’est ce que nous voyons depuis maintenant des années. Non seulement nous sommes souvent ridicules, ce qui est déjà en soi une grande peine, mais en plus nous empêchons l’Europe d’avancer. Je ne parle pas du référendum perdu. On pourrait y revenir, ce n’est pas l’objet ce soir. Je parle de ce qui ne s’est pas passé depuis un an, depuis ce référendum. Il était de la responsabilité du Président de la République de faire des propositions. Nous savons que non seulement il ne l’a pas fait, mais qu’il n’en fera pas jusqu’à 2007. Or la France a un rôle particulier à jouer en Europe, un rôle qu’elle a su jouer à tout moment depuis la Révolution française et particulièrement depuis cinquante ans, depuis la création de l’Union. Un rôle sans lequel l’Europe ne se crée pas, l’Europe n’avance pas. Là encore, voilà une mission pour le Président de la République. Au bout du compte, la question est : que doit faire le Président de la République ? C’est un peu à cela que j’ai voulu commencer à répondre avec vous ce soir, ce qui est une autre manière de répondre à une autre question : pourquoi est-ce que je suis candidat ? Je suis candidat, parce que je crois qu’il faut donner un nouveau souffle à notre pays. Il faut mettre en œuvre le changement, et c’est le Président de la République qui doit conduire ce changement. Le temps est passé du président paternaliste, irresponsable et, sur beaucoup de grands sujets finalement, impuissant. Le temps est passé du président issu d’un clan et gouvernant par un clan – et souvent pour un clan. Le temps est passé, du président qui donne le cap et s’en contente. Il faut maintenant qu’il tienne la barre. Il faut un président qui s’investit, un président qui imagine, un président qui innove, un président qui agit. Depuis cinq ans, la présidence de la République de notre pays est une défausse permanente. Il faut un président convaincu. Pour cela, il faut une candidature de conviction. Le parti Socialiste est-il prêt pour cela ? Il est vrai que, depuis quatre ans, nous avons perdu beaucoup de temps. Mais maintenant, nous avons notre projet. Il y a beaucoup de bonnes choses dedans. Il y a beaucoup de propositions utiles, sur un ensemble de sujets : le logement, le service public de la petite enfance, la sécurité, que sais-je encore ! Et d’ailleurs, il ne demande qu’à être enrichi, et j’ai entendu Laurent Fabius l’autre jour faire des propositions, qui me semble utiles. Mais ce projet ne suffit pas à faire une conviction pour la France. Ma conviction pour la France, c’est que nous devons demain, assurer son indépendance énergétique : notre survie politique en tant que nation est à ce prix. Et c’est là le rôle du Président de la République. Ma conviction pour la France, c’est que nous devons redéfinir le compromis social qui permet de partager la richesse créée avec le moins d’inégalité possible. Redéfinir ce partage, c’est le rôle du Président de la République. Ma conviction, c’est que nous devons faire évoluer notre modèle de société pour être demain encore parmi les grandes puissances industrielles de cette planète. C’est le rôle du Président de la République. Ma conviction c’est que nous devons relancer la construction européenne. C’est le rôle du Président de la République.

Ma conviction, c’est que nous devons nous ouvrir au Sud et, par là même, jeter les bases d’un nouvel ordre international. C’est le rôle du Président de la République. C’est au nom de ces convictions-là que nous, nous la gauche, pouvons proposer à la France, et aussi à l’Europe, une voie nouvelle dans la mondialisation. Et je suis candidat pour être le Président qui mène le pays sur cette voie nouvelle. En aurons-nous la force ? Oui. Oui, je crois que nous l’aurons, mais à quelques conditions. A condition de savoir redonner à la politique sa noblesse. A condition d’être capable de refuser le renoncement que j’évoquais tout à l’heure au sujet de Nicolas Sarkozy. A condition d’être capable de repousser la tentation du populisme qui se nourrit de nos échecs. Finalement, à condition d’être capable de redonner à la démocratie une vie. Or le cloaque dans lequel se trouve aujourd’hui la démocratie française est quelque chose qu’aucun d’entre nous ne peut continuer à tolérer. Bien sûr, j’entends déjà les commentaires : « c’est la Vème République, elle a été construite pour cela ! Pour faire en sorte que l’exécutif ait tout le pouvoir et que le contrôle parlementaire soit finalement réduit à peu de chose ». Et bien, si c’était l’objectif des fondateurs de la Vème République, ils ont réussi. Et il faut en sortir. Je veux un président convaincu, un président qui gouverne, mais je veux en face un Parlement – à commencer par une Assemblée Nationale – qui soit là pour en organiser le contrôle. Restaurer le contrôle parlementaire repose sur tout un ensemble de mesures. Le parti socialiste a prévu que les députés soit des députés à plein temps, c’est bien ! Il faut aussi revoir le nombre de commissions, il faut limiter l’emploi du 49-3. J’ai une longue liste de mesures que je ne vais pas détailler ce soir. Ce qui compte, c’est de faire en sorte que demain nous nous retrouvions dans une situation où nous ayons, plus que par le passé, un président qui gouverne et, plus que par le passé, un parlement qui contrôle. Et encore, lorsque nous aurons fait cela, nous n’aurons fait que la moitié du chemin. Car la démocratie demain, dans notre pays, ne peut se limiter à la démocratie d’Etat. C’est aussi revenir sur la décentralisation et sur les territoires. Napoléon nous a légué en héritage, lui-même reçu de Louis XIV, une France centralisée et un Etat puissant. En 1981, les socialistes ont fait naître une force nouvelle : celle du pouvoir local, par la décentralisation. C’était en 1981, il y a 25 ans, l’enfant arrive aujourd’hui à l’âge adulte. L’âge adulte de la décentralisation, c’est celui dans lequel les relations entre l’Etat et les collectivités territoriales, notamment les régions et les départements, doivent être des relations d’égal à égal. Le mépris que l’on ressent partout, des responsables politiques vers les élus locaux, des administrations centrales vers les administrations locales, n’est plus tolérable. Le nouvel âge de la décentralisation, la République territoriale qu’il faut construire aujourd’hui, c’est le deuxième pilier d’un renouveau de notre démocratie. Là où les citoyens sentent que la démocratie vit. Ce n’est pas un hasard, si les seuls responsables politiques que les Français mettent en haut de leurs sondages, ce sont les maires ! Mais lorsque l’on interroge nos concitoyens sur les autres responsables politiques, ils les font figurer tout en bas de la liste.

C’est dans ce rééquilibrage, dans cette ère nouvelle de la décentralisation, qu’à côté du renforcement des pouvoirs du Parlement, je vois l’équilibre à venir des pouvoirs dans notre pays. Telle est ma conception de la présidence de la République. Il peut y en avoir d’autres. Mais je n’ai pas entendu aujourd’hui, dans le parti, beaucoup de candidats exprimer sur ce sujet des positions arrêtées. Elles me semblaient souvent soit trop classiques, soit trop vagues. Il faut donc qu’il y ait un débat, car la conception de la présidence est un des enjeux des mois qui viennent. Pour ma part, je ne suis pas candidat à une présidence gaullienne, ça n’est pas mon essence. Je ne suis pas candidat à une présidence mitterrandienne : aujourd’hui, cela n’aurait plus de sens. Je ne suis pas plus candidat à une présidence chiraquienne – d’ailleurs, est-ce une présidence ? Je suis un candidat porté par des convictions, pour donner un nouveau souffle à la France. Depuis cinq ans, le libéralisme a été beaucoup combattu. Il a perdu dans les urnes, il a été défait dans la rue. Pourtant, on peut encore sentir l’hésitation des Français à nous confier le pouvoir. Dans les sondages, ils considèrent le projet du parti socialiste comme intéressant. Mais ils hésitent encore à savoir si cela peut changer leur vie. Or c’est bien de changer la vie, leur vie, qu’il s’agit, comme nous le voulions déjà dans les années 70. C’est parce que nous lèverons cette hésitation sur notre capacité à changer la vie que nous transformerons une victoire possible en une victoire probable. Vous tous qui êtes ici, vous me connaissez. J’ai milité au moins quinze ans au parti socialiste en faisant mon métier – celui de professeur – avant de prendre des responsabilités électives. Je les ai prises parce que j’avais la conviction que c’était en tant qu’élu que je pouvais être le plus utile et faire changer les choses. C’est cette même conviction qui m’anime aujourd’hui. Cette même conviction que le moment est venu pour que je vienne devant vous, pour vous dire : « si vous voulez m’aider à ce qu’ensemble nous changions les choses, si vous voulez m’apporter votre soutien, alors oui, nous pouvons ensemble donner un nouveau souffle à la France. Nous pouvons ensemble commencer à changer la vie ». C’est à cela que je vous invite.

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